L'Esprit Saint est discret. Com­me s'il n'était pas d'abord sou­cieux de parler de lui-même: il nous fait dire "Abba, Père" (Romains 8, 15; Ga 4, 6), et il témoigne en nous que Jésus est Seigneur (1 Corinthiens 12, 3).
On voit d'abord ses fruits, ce qu'il fait. Et on en parle alors comme d'une force, une inspiration. Mais, à partir de là, nous sommes invités à percevoir qui il est: quelqu'un, une personne aussi réellement et distinctement que le Père et le Fils: Jésus en parle comme d'un autre lui-­même, un "autre Paraclet" (1). Enfin, on le soupçonnerait vo­lontiers de posséder, de mani­puler ceux qu'il inspire et qu'il conduit. Et en fait on découvre qu'il est au contraire celui en qui et par qui nous devenons enfin nous-mêmes, ce pour quoi nous sommes faits.
Lui que nous avons tant de mal à reconnaître comme quel­qu'un, comme une personne, il est précisément celui qui fait de chacun de nous quelqu'un, une vraie personne, à la fois autonome et en relation avec les autres: on pourrait dire qu'il nous "personnalise".
 
Le souffle de Dieu
Il n'a pas de nom qui lui soit propre. Ruah en hébreu, pneu­ma en grec, sont des noms communs, sans majuscules. C'est le souffle, le vent, bon quand il vient de la mer et qu'il apporte la vie. C'est l'espace vi­tal, l'air qu'on respire, et qui par­fois nous manque, le milieu am­biant, l'amour de Dieu dans lequel nous baignons, sorte de "milieu divin", comme disait Teil­hard de Chardin. C'est la pré­venance de Dieu pour nous, la sollicitude dont il nous entoure, le dynamisme qu'il met en nous. Tout l'Ancien Testament l'atteste: ce souffle vivifiant était à l'œuvre dès l'origine. Il couvrait déjà la création première (Genèse 1, 2), lorsque la Parole de Dieu faisait surgir l'être et éclore la vie, pré­figuration de l'Annonciation et de la Pentecôte, où le même Esprit sera à l'œuvre pour que le Christ prenne corps dans l'histoire des hommes.
C'est lui aussi qui inspirait les prophètes, et les rois étaient marqués de son onction, en at­tendant le roi-messie, le "Christ", "oint" par excellence. En atten­dant aussi le jour où l'Esprit re­posera sur le peuple tout entier, selon la promesse transmise par le prophète Joël (3, 1-5) et dont Pierre verra la réalisation à la Pentecôte (Actes 2, 16).
 
« L’Esprit du Seigneur est sur moi »
Cette promesse de la Première Alliance, Jésus en proclame l'ac­complissement: "Cette parole de l'Écriture que vous venez d'entendre, c'est aujourd'hui qu'elle s'accomplit" (Luc 4, 18­19). Car c'est lui qui peut vrai­ment dire: "L'Esprit du Sei­gneur est sur moi" (lsaïe 61,1) pour qu'un jour les baptisés puissent le dire comme lui. Lors du baptême de Jésus, l'Esprit vient sur lui "comme une co­lombe" (Matthieu 3,16), on pourrait dire "comme un vol de colombe", et il demeure sur lui. Comme le dira Irénée, en Jésus, "l'Esprit s'habitue à habiter dans le genre humain".
L'Esprit pousse Jésus vers sa mission, vers le Père, et d'abord il le "propulse au dé­sert" (Marc 1,12), vers l'affronte­ment qu'il doit vivre pour qu'ad­vienne le Règne de Dieu par la victoire de son Christ sur le mal et sur la mort. Ce dynamisme n'est pas, pour Jésus, une for­ce aliénante qui le manipulerait de l'extérieur, mais il coïncide avec l'élan filial qui est son être même et son identité.
Dans l'Esprit de Dieu qui l'anime et le meut, Jésus est pleinement lui-même: le Fils du Père. Non pas dans un individualisme cris­pé sur son indépendance, mais comme une vraie personne, en relation à l'autre, à sa source. Celui qui, à la suite du Christ, s'ouvre pleinement à l'Esprit de Dieu, devient pleinement lui­-même, ce pour quoi il est fait, fils dans le Fils. Loin d'être alié­nant, l'Esprit libère notre liberté.

     
L’Esprit témoignera et enseignera
Le Christ est venu pour que nous puissions recevoir l'Esprit. L'Esprit est le grand précurseur du Christ, il prépare les hom­mes à sa venue. Et le Christ est le grand révélateur de l'Esprit: c'est lui qui nous en fait la caté­chèse, qui nous explique qui est l'Esprit.
Il n'en parle plus seulement com­me d'une force impersonnelle, un dynamisme, un souffle, ou un feu, mais vraiment comme de quelqu'un, envoyé lui aussi par le Père. L'Esprit prendra le relais de la mission du Fils, pour pro­longer son œuvre, propager son message, inscrire sa prière dans le cœur des croyants. Et c'est lui qui mènera à terme la Pâque de Jésus, ce passage que l'humanité tout entière est appelée à faire vers le Père. Jésus parle de l'Esprit et il le donne. Il en parle en lui attribuant des actions qui sont celles d'une personne: il témoignera, il enseignera, il rappellera, il mè­nera "vers la vérité tout entiè­re", c'est-à-dire vers la pleine compréhension du Père et du Fils (Voir Jean 14 à 16).
C'est bien le Père qui l'enverra, au nom de Jésus: c'est de son bien, de ce que le Fils a en com­mun avec le Père, qu'il doit nous faire part (Jean 16, 14-15). Totalement investi de l'Esprit, Jé­sus nous le transmet comme s'il en débordait. En lui nous avons part à la démesure du don de Dieu: "Exalté par /a Droite de Dieu, il a donc reçu du Père l'Esprit Saint promis et il l'a répandu, comme vous le voyez et l'entendez", peut dire Pierre aux témoins éberlués de la Pentecôte (Actes 2, 33). Tout se passe comme si l'Esprit nous venait de la Pâque de Jésus, comme s'il avait sa source dans le geste par lequel Jésus s'en remet de tout lui-même au Père: l'Esprit vient, "procède", de la com­munion du Père et du Fils, telle qu'elle est manifestée sur la croix, où Jésus vit cette com­munion jusqu'au bout.
D'où l'expression, devenue tra­ditionnelle dans le Credo des la­tins : l'Esprit "procède du Père et du Fils", de la communion du Père et du Fils. D'où l'intuition aussi que l'Esprit est, en per­sonne, cette communion du Père et du Fils. Telle est la contemplation de Jean l'évan­géliste, qui relit comme un signe de l'envoi de l'Esprit le dernier souffle de Jésus trans­mis à sa mère et au disciple qui sont l'Église au pied de la croix: "Inclinant la tête, il trans­mit l'Esprit" (Jean 19, 30).
 De la même façon l'évangéliste entrevoit aussi le don du Saint-­Esprit dans l'effusion du sang et de l'eau du côté ouvert de Jésus (Jean 19,34; voir 7,37­-39). C'est de la croix du Christ, de son don de soi filial et de son accueil par le Père, que nous recevons l'Esprit. Et cet Esprit, l'Esprit du Père et du Fils, nous saisit pour nous en­traîner dans ce dynamisme fi­lial, dans ce passage vers le Père, dans cette communion qui est celle de la Trinité.
     
L’Esprit dans l’Eglise
La communauté des disciples de Jésus, l'Église du Christ, c'est l'Église du Saint-Esprit. Car Jésus n'en est pas seulement le fondateur autrefois, il en est le fondement aujourd'hui, et il la fait vivre de son Esprit. Parce que l'Esprit, le même Esprit, de­meure en nous comme en lui, nous sommes comme d'autres christs, puisque "christ" signifie celui qui a reçu l'onction de l'Esprit.
 L'Esprit Saint est lié à l'Église, et l'Église est liée à l'Esprit. En ca­téchèse, on ne devrait jamais parler de l'Église, de sa vie, de sa mission, de son organisa­tion, sans parler du Saint-Esprit. "Nous croyons au Saint-Esprit dans l'Église, pour fa vie éter­nelle", proclame le Credo. C'est l'Esprit et l'Église, indissociable­ment, qui disent au Seigneur : "Viens f" (Apocalypse 22, 17).
C'est l'Esprit Saint et les dis­ciples qui, conjointement, peu­vent décréter en Église: "L'Es­prit Saint et nous, avons décidé ... " (Actes 15, 28). Jésus avait annoncé ce lien: "L'Esprit Saint témoignera, et vous aussi vous témoignerez" (Jean 15,27). De la même façon, c'est en par­Iant de l'Église qu'on peut par­Ier concrètement de l'Esprit: de même que le Fils nous révèle le Père (Jean 1, 18), et que l'Esprit nous fait connaître le Fils, c'est l'Église, peuple de sanctifiés, qui manifeste l'Esprit de sainte­té. L'Église est la manifestation, l'''épiphanie'', du Saint-Esprit. Ce qui ne signifie pas que le Saint-Esprit est comme "assi­gné à résidence" dans l'Église, ou qu'elle en aurait le monopo­le. Comme l'enseigne Vatican Il: "Nous devons tenir que l'Es­prit-Saint offre à tous, d'une fa­çon que Dieu connaît, la possi­bilité d'être associés au mystère pascal" (Gaudium et Spes 22, 5). Tous les sacre­ments de l'Église sont sacre­ments de l'Esprit. Et pas seule­ment la confirmation. L'Esprit Saint descend sur nous au bap­tême, comme sur le Christ (Luc 3, 22). Il vient sur le pain et le vin, pour qu'ils deviennent corps et sang du christ (prières de l'épiclèse, dans la Prière eu­charistique). C'est d'abord en communiant au Corps du Christ que nous sommes "abreuvés du Saint-Esprit", comme le chante la liturgie byzantine. Dans l'Église, le Saint-Esprit est la source de la prière: c'est seulement par lui que nous "osons" appeler Dieu notre Père, comme si nous nous pre­nions pour Jésus lui-même. Et il est la source de la mission: c'est lui qui donne l'audace d'être témoins.
     
L’Esprit en nous
De même que l'Esprit qui de­meure sur Jésus et qui inspire sa mission ne l'aliène pas, mais au contraire le fait agir et vivre plei­nement selon ce qu'il est, le Fils Unique de Dieu, de même l'Es­prit qui nous habite, en nous ins­pirant, ne nous manipule pas. Il nous fait agir selon ce que nous sommes, enfants de Dieu, dans la logique de notre baptême. Il n'agit pas en nous, sans nous.
     
    Comme dans le "oui" de Marie à l'annonce qui lui est faite, le Saint-Esprit respecte et pro­meut notre liberté. Ne cher­chons pas alors à déterminer la part de la grâce de Dieu et la part de notre liberté: dans l'œuvre de Dieu en nous, tout est de Dieu et tout est de nous. Les théologiens orientaux par­Ient là d'une "synergie" (sun, avec, ergon, œuvre), d'une ac­tion conjointe de Dieu et de l'homme. Dès lors le Saint-Es­prit ne se manifeste pas d'abord dans ce qui nous sur­prend ou nous échappe, ce qui nous semble insolite, mais il passe par notre intelligence et notre cœur, nos goûts, nos at­traits, nos qualités et nos dé­fauts, nos solidarités. Il a be­soin de notre réflexion et de notre bon sens. Il est moins dans les coups de foudre sur­prenants que dans ce qui est longuement mûri, comme dans toute l'histoire de Dieu avec les hommes, tout l'Ancien Testa­ment, et l'Incarnation elle-­même. Et c'est toujours en Égli­se que l'Esprit peut être discerné. Finalement, d'une fa­con ou d'une autre, l'Esprit est toujours celui qui, en Église, nous réfère, comme Jésus et avec lui, à Dieu, le Père: "II n'y a qu'une eau vive qui murmure au­-dedans de moi, et me dit: "Viens vers le Père!" Ignace d'Antioche.
     
 1. Paraclet: Transcription du mot grec paraclètos. Littéralement: ap­pelé auprès (comme, en latin, ad­vocatus). C'est celui qu'on appelle au secours, le défenseur, l'interces­seur, le consolateur. Jésus parle de l'Esprit comme d'un "autre Para­clet" (Jean 14, 26). C'est dire que lui, Jésus, est comme un premier Paraclet, comme il continuera de l'être pour nous auprès du Père (1 Jean 2, 1), et que l'Esprit désormais prendra le relais auprès des dis­ciples. Par cette analogie avec Jé­sus est souligné le caractère per­sonnel du Saint-Esprit.