D'autres textes pour aller plus loin

1. Maurice ZUNDEL : La manière d'être du chrétien

Le Christianisme n'est pas une doctrine, c'est une Personne. Si le message chrétien s'exprime en formules, ces formules ont une valeur sacramentelle. Elles sont autant de sacrements de la Parole du Verbe, autant d'Eucharisties où la Vérité en Personne Se dit et Se donne. Il faut donc s'assimiler ces formules, comme on fait de l'Eucharistie, par une silencieuse identification de Vie.

C'est cette attitude qui établit un abîme entre la doctrine des Pharisiens, ennemis de l'Evangile, et celle du Seigneur. Les docteurs de la Loi qui censurent le Charpentier de Nazareth sont des répétiteurs d'école. Les disciples de la Nouvelle Alliance doivent s'incorporer à la Personne de leur Maître. Toutes nos paroles sont vaines tant que nous ne sommes pas La Parole. Et si nous sommes La Parole, nous n'avons presque plus besoin des paroles.

Dès que nous engageons une conversation avec nos frères non catholiques, nous risquons constamment de déformer le Message du Christ en le réduisant à un système, en nous accrochant aux mots, ou en ayant l'air de faire de la propagande pour un parti. La seule voie efficace serait de leur présenter Jésus vivant en nous, avec une telle démission qu'ils le reconnaissent aussitôt comme la Vie de leur vie. Il est rare qu'un être se défende contre l'amour agenouillé au seuil de son âme. Il ne saurait en tout cas, sans se condamner lui-même, en être blessé. Or Jésus est la Charité. Il ne sert absolument à rien d'En parler, si cette Charité qu'Il est n'est pas la respiration de notre Vie.

Nous nous acharnons le plus souvent à proclamer, justifier et défendre des principes, et nous laissons se perdre les âmes. [...]

[...] l'Eglise ne s'est pas embarrassée d'apparentes contradictions. Elle refuse d'être esclave des mots, et sous les mots, son cœur est sans cesse tendu vers la Personne qui leur donne la vie. Il est assurément utile de se pencher sur les textes, mais à condition qu'on les lise à genoux, en cherchant partout, sous la lettre, le Visage après lequel toute la terre soupire. Nous ne convaincrons personne par des réfutations, car personne n'aime à s'avouer vaincu. Et il n'y a que l'amour qui ne fasse pas violence, parce qu'Il transforme, du dedans, et qu'Il produit la nouvelle naissance.

Nous n'avons pas assimilé nous-mêmes ce Don et nous n'en vivons pas. Nous cherchons des disciples pour une doctrine à laquelle nous n'adhérons pas d'une adhésion capable d'allumer le feu dont le Seigneur voulait propager l'incendie. Nous nous contentons des mots splendides qui flattent notre intelligence et qui nous donnent un sentiment de respectabilité : nous ne sommes pas transformés et transsubstantiés en Celui qui est Vie et dont la Vie est la Lumière des hommes. Le rayonnement d'une indéfectible bonté, le silence d'une patience inlassablement agenouillée, la démission d'une humilité qui persévère au Lavement des pieds, voilà ce qu'il nous faut. Nous avons besoin de recueillement plus que de notions et d'écouter plus que d'entendre.

2. LE CHRISTIANISME COMME STYLE

par Dominique Barnérias (prêtre de Sainte Pauline de 2004 à 2010).
Extraits du chapitre 12 de sa thèse, La paroisse en mouvement
L’apport d’une théologie du style

Dominique Barnérias analyse ce que le théologien Christoph Theobald (citations entre guillemets) dit sur le christianisme comme style. Il s’agit de comprendre, en se mettant à l’écoute des expériences spirituelles, comment la forme de l’existence est touchée par le contenu de la foi. C’est ce style de vie qu’il importe de mettre en lumière dans la modernité, où le christianisme comme doctrine a été radicalement contesté. La crédibilité du message tient désormais à la manière d’être du messager, à la cohérence entre les paroles et les actes.

La relation entre Jésus et les siens

Jésus lui-même n’a rien écrit. Il n’accorde pas d’autorité à ce qui est écrit parce que c’est écrit : « même le diable peut citer les Ecritures. » L’autorité est celle de la volonté de Dieu. Jésus discute les Ecritures à partir de sa relation avec « Celui qui aujourd’hui l’engendre dans l’Esprit ».

Ce qui constitue l’unité du Nouveau Testament, plus que la personne même de Jésus, c’est la relation entre Jésus et les siens, relation qui ne cesse d’advenir et que le texte a pour but de rendre possible.

Le style de présence de Jésus est décrit par Christoph Theobald comme une « capacité d’apprentissage ou dessaisissement de soi au profit d’une présence à quiconque, ici et maintenant. » En Jésus se manifeste une cohérence profonde entre une distance par rapport à sa propre existence et une singulière hospitalité, qui se marque par la capacité d’apprendre du tout-venant, comme d’ailleurs de chaque nouvelle situation qui se présente.

L’absence d’écriture de Jésus est le signe de la priorité absolue qu’il donne à sa présence à autrui et de sa distance par rapport à lui-même.

« Jésus rayonne parce qu’en lui, pensées, paroles et actes concordent absolument et manifestent la simplicité et l’unité de son être. Son rayonnement n’éblouit pourtant pas mais se fait discret, voire s’efface au profit de quiconque, et suscite et révèle le même « élémentaire » de vie, appelé aussi « foi », dont il ne s’approprie jamais l’origine : « Ma fille, ta foi t’a sauvée » (Mc 5,34). »

La capacité relationnelle renvoie chacun à une dignité cachée, au secret intime qui est sa relation unique avec le Dieu qui donne vie et qui ne cesse d’agir pour l’homme.

La règle d’or de Jésus, « Tout ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux ! Voilà la Loi et les Prophètes » (Mt 7,12), laisse la liberté humaine se développer à partir de la prise de conscience du prochain.

Le style, une « métamorphose du monde »

Ce qui se produit est une nouvelle orientation de la vie humaine à partir de la rencontre du ressuscité, ce que Merleau-Ponty appelait une « métamorphose du monde » surgie de la capacité de création de sens à même le sensible.

Il s’agit d’inventer un nouveau style de vie au milieu des hommes, un style qui ne fasse pas nombre avec ceux du monde, puisqu’il désigne une réalité qui n’est pas de ce monde. La conversion évangélique n’est pas l’invention d’une autre manière de vivre, mais la découverte au cœur de l’existence de la proximité du Règne
de Dieu qui renouvelle toute chose.

Le christianisme en posture d’apprentissage

L’individualisme continue d’œuvrer dans une dynamique de désinstitutionalisation.

Les critères traditionnels de crédibilité sont remis en cause. De même le paradigme de l’enseignement atteint ses limites.

Jean XXIII entraîne le catholicisme dans un véritable changement stylistique, qui se manifeste dans le style pastoral du concile Vatican II : « Il n’y a pas d’annonce de l’Evangile de Dieu sans prise en compte des destinataires. »

La réponse que la foi peut apporter aux transformations culturelles qui mettent en cause la crédibilité du christianisme est donc le cercle que l’on peut tracer entre doctrine et ethos chrétien, entre contenu et forme de la vie chrétienne. L’un ne peut aller sans l’autre. Mais de quelle manière ? La sainteté de l’existence chrétienne est approchée par Theobald à partir de la sainteté du Christ, révélation ultime de la sainteté biblique, c’est-à-dire de la participation de l’homme à la sainteté de Dieu. Cette sainteté est un rayonnement de la présence dû à la simplicité de l’être, à une concordance absolue entre paroles et actes, et à la « capacité paradoxale de se mettre à la place d’autrui. » donc à mettre en pratique la règle d’or (« Tout ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux ! Voilà la Loi et les Prophètes » - Mt 7,12).

 4. L'engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique