La Transfiguration, Raphael, XVI° siècle

Dimanche 28 février

 

Chers frères et sœurs, 

Nous avons en ce deuxième dimanche de carême un curieux télescopage liturgique qui met en parallèle le sacrifice d’Abraham et la gloire de la Transfiguration. 

Ce qui unit les deux textes, c’est la foi en l’amour de Dieu. 

Devenir Fils est un des enjeux du temps du carême. On ne devient pas fils de Dieu n’importe comment : non pas dans une soumission servile, mais dans une écoute libre et aimante : « Celui-ci est mon fils bien aimé, écoutez-le ». 

- Abraham vit l’épreuve de la foi : 

Celui-ci a un fils unique, Isaac, le fils de la promesse ; c’est comme une contradiction ; Dieu semble reprendre sa promesse. Dieu l’appelle à offrir son fils bien-aimé en sacrifice. Et nous pouvons imaginer le déchirement que cela représente pour lui, nous entrevoyons ce qui a pu se passer dans son cœur et dans le cœur de son fils. Abraham a entièrement confiance en Dieu ; « C’est un acte de foi extrêmement radical » (Benoît XVI). Il obéit librement et dans la confiance, comme Marie, même s’il ne comprend pas tout de la volonté de Dieu. Peut-être pressent-il que Dieu ne peut pas contredire sa promesse et reprendre ce qu’il a donné. Abraham a expérimenté la tendresse de Dieu pour lui, et il sait au plus profond de lui que Dieu est fidèle et qu’il ne peut se renier lui-même : Dieu lui a donné Isaac, fils d’un miracle (au-delà de la stérilité), le Fils de la promesse, et il ne peut lui retirer sa promesse d’être à l’origine d’une grande nation. La foi d’Abraham est foi dans la nuit. Parfois la volonté de Dieu nous est obscure ; il faut avancer dans la nuit. 

Ce texte paradoxalement peut nous délivrer de l’image d’un Dieu cruel qui n’est pas le Dieu de la Bible. 

Isaac le fils-bien-aimé devient comme une étonnante une image du Christ : il a pleine confiance dans son père ; et il gravit la montagne en portant le bois, comme le Christ chargé de sa croix. Jésus est le nouvel Isaac dans l’obéissance d’amour envers son Père. 

L’auteur biblique nous montre la communion entre le père et le fils : « ils s’en allèrent tous les deux ensemble », unis dans le désir d’accomplir la volonté de Dieu, unis dans la confiance d’un amour réciproque : dans la foi, ils pressentent que Dieu ne peut que les conduire à la vie. Ils ont fait l’expérience du Dieu Sauveur qui ne veut pas la mort, mais la vie. 

« Si Dieu est pour nous qui sera contre nous, lui qui n’a pas épargné son propre fils… comment avec son Fils ne nous donnerait-il pas tout ? « (Rm 8,32). 

- L’Evangéliste Marc nous montre le Fils est transfiguré dans la gloire : 

La Transfiguration est l’expérience mystique de ce lien de confiance total entre le Christ et son Père. Expérience de lumière et de gloire. L’humanité de Jésus laisse transparaître la gloire de son Père. Lumière fugitive, car Jésus doit passer par la mort. Et donc c’est aussi une expérience de ténèbres (la nuée cache Dieu dans le chemin du désert du peuple de Dieu), qui appelle à la confiance en la Parole de Dieu au-delà de la vision. Ce que les disciples entrevoient permet un regard de foi sur la croix comme mystère de l’amour extraordinaire de Dieu.  

Nous pouvons y relire nos expériences de foi : il est des moments de notre vie qui sont comme de petites transfigurations où la présence de Dieu nous est comme évidente ; et ensuite vient la grisaille du quotidien ou parfois même la nuit de la foi : Dieu nous paraît bien absent, la prière bien difficile ; à ce moment il nous faut faire mémoire de ces moments de grâce pour renouveler notre confiance ; comme Abraham l’a fait. 

La prière est ce lieu qui nous fait entrer dans ce regard de foi qui illumine et transfigure notre quotidien et nos rencontres, qui nous permet de « voir l’invisible ». Sans la prière il est probable que notre confiance en Dieu s’essouffle. La prière nous fait discerner la lumière et la paix qui traversent nos vies et qui viennent du Christ ressuscité dans l’épaisseur de notre quotidien.  

Il est profondément juste le tableau de Raphaël qui place la guérison de l’épileptique par Jésus sous la scène de la Transfiguration (en effet, cet épisode suit le Transfiguration dans l'Evangile de Mathieu en Mt 17) : la lumière de Jésus éclaire les souffrances de l’homme. La Transfiguration de Jésus n’est pas désincarnée. Elle s’inscrit dans le tréfonds de notre vie humaine. 

Que ce temps du carême renouvelle notre prière, lieu de confiance et de transfiguration de notre quotidien. Avec le Christ en ce carême demandons la grâce de devenir davantage fils.


Samedi 27 février

 

Chers frères et sœurs, 

J’ai toujours pensé que nous avons dans cet Evangile le plus essentiel du message du Christ : l’amour des ennemis. Au fond, c’est ce que nous célébrons le vendredi saint. 

Aimer seulement ses semblables est un amour trop court. L’amour ne fait pas de tri… L’amour ne se mesure pas en quantité, mais en qualité. 

L’amour selon le Christ déborde nos catégories « sociales », de voisinage, de « cercles » plus ou moins « fermés » … Il fait éclater toutes les barrières et les restrictions que la notion de prochain suggère parfois, pas seulement dans l’esprit de certains penseurs, mais aussi dans nos relations habituelles. 

L’amour de Dieu se manifeste de façon « privilégiée » à ceux qui en semblent les moins dignes, aux pécheurs, à ses ennemis… Bref l’amour de Dieu n’est pas « raisonnable » à nos yeux. 

Jésus fait surabonder les commandements : l’amour du prochain doit aller jusqu’à l’amour des ennemis ; Jésus cite le grand commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur » (Lv 19,18) ; même si nulle part on ne trouve : « tu haïras ton ennemi » de façon précise, il faut avouer que la réalité de la haine des ennemis n’est pas absente de la Parole de Dieu, notamment dans les psaumes dit de « malédiction », passages qui sont pudiquement oubliés de la liturgie des heures. En voici un exemple, il y en aurait beaucoup d’autres du même tonneau assez imbuvable : « Comment ne pas haïr tes ennemis, Seigneur, ne pas avoir en dégoût tes assaillants ? Je les hais d'une haine parfaite, je les tiens pour mes propres ennemis » (Ps 138,21-22). C’est la violence des hommes qui ressort au cœur de la prière, humaine, très humaine. 

L’amour universel trouve sa source en Dieu le Père qui « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt5,45). 

Aimer ses ennemis n’a rien de simple, sinon sur le papier… Comment manifester de la sympathie pour celui qui me déteste (ce que je lui rends bien, souvent !) ? Comment aimer celui qui a trahi mon amitié ou mon amour ? Comment prier pour celui cherche à me nuire, qui me manipule ? Tout cela est très concret ; seule la force du Christ qui pardonne peut m’aider à avancer pas à pas vers cet impossible. 

L’amour des ennemis ne fait pas appel aux seuls sentiments qui ne suffisent pas. Face à son ennemi, le disciple doit passer à l’action avec pour seules armes, des armes bien désarmées (sans jeu de mot phonétique) : Jésus dans le texte parallèle de l’Evangile de Luc invite à leur faire du bien, à prier pour eux, à donner à ceux qui nous ont pris (Lc 6,27-30), et ultimement à pardonner jusqu’à « soixante-dix fois sept fois » (Mt 18,35) : « Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34). L’enjeu pour nous est de devenir des fils à l’image du Christ. 

Il faut faire face à la montée de la violence, et de la haine, avec un amour toujours plus grand ; à la spirale de la violence répond la spirale de la douceur et de la bonté (« À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue. À celui qui te prend ton manteau, ne refuse pas ta tunique » Lc 6,29). C’est un chemin escarpé ; la croix nous le montre ! 

Cc que Saint Paul résume en une phrase limpide et lapidaire : « Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien » (Rm 12,21).

Vendredi 26 février

 

Chers frères et sœurs, 

« Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux » (Mt 5,20). 

« Avoir foi en la perfection de l’homme, c’est très bien chez un homme d’Église, pas chez un premier ministre. » disait Winston Churchill, célèbre pour son humour. Jésus ajoute avec une autre profondeur que la recherche de perfection ne suffit pas toujours… La preuve : les pharisiens ; c’est bien la perfection qu’ils poursuivent, mais en vain. Cela ne suffit pas à donner le salut. 

Les pharisiens ne manquent pas de sincérité, ils encouragent une observance rigoureuse, tatillonne de la loi. Jésus dénonce ce fardeau insupportable qu’ils imposeraient volontiers aux autres : « Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt » (Mt 23,4). Et de plus, ils se permettent de juger les comportements et de les critiquer ouvertement et sans ménagement (« pourquoi tes disciples ne se lavent-ils pas les mains ? », Mt 15,2). 

Appliquer la loi de Dieu et avoir un comportement « moral », ne suffisent pas à guérir les cœurs. Jésus ne cesse pas de rappeler que c’est le cœur de l’homme qui est malade (Mt 15,18). Notre façade peut être belle et l’intérieur en plein désordre… A quoi bon « purifier l’extérieur de la coupe et de l’assiette », si « l’intérieur est rempli de cupidité et d’intempérance !... A l’extérieur, pour les gens, vous avez l’apparence d’hommes justes, mais à l’intérieur vous êtes pleins d’hypocrisie et de mal » (Mt 23,25-28). Etre en règle avec la loi ne suffit pas. « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi » (Mt 15,8). 

Le plus important est donc pour Jésus la guérison du cœur. Et pour cela, une condition unique et nécessaire, se reconnaître humblement pécheur. Le temps du carême peut nous aider à regarder ce qui nous empêche d’aimer, ce qui nous fait rester dans des « pratiques extérieures » ou comptables de la foi, ce qui empêche notre amour de « surabonder ». 

Jésus dans l’Evangile de ce jour nous donne un critère sûr et infaillible : nos relations fraternelles. Il ne s’agit pas seulement d’éviter de tuer, ni même seulement de ne pas se mettre en colère, ni même de réparer une faute que nous aurions commise contre quelqu’un… On peut encore aller plus loin dans l’amour fraternel : être capable de repérer si un frère a quelque chose à nous reprocher, pour aller vers lui et nous réconcilier avec lui : « lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande » (Mt 5,23-24). 

C’est ainsi que notre amour pourra surabonder, déborder, c’est-à-dire commencer à ressembler à l’amour de Dieu qui est toujours « combien plus » (cf la méditation d’hier). 

Que notre générosité déborde en ce temps du carême. Car, là où il n’y a pas trop, il n’y a pas assez ! 

 

Jeudi 25 février

 

Chers frères et sœurs, 

Le récit du livre d’Esther est à la fois suffisamment sérieux et « rocambolesque », improbable et pourtant devenu réalité glaçante avec la shoah ; cette épopée étrange a inspiré, et l’on comprend pourquoi, peintres, musiciens (Charpentier, Haendel…) et écrivains (Esther, une tragédie de Racine).  

Esther est jeune femme juive à la beauté légendaire ; cette beauté la fait remarquer, alors qu’elle est captive avec le reste de son peuple à Babylone après la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor. Elle entre dans le harem royal et trouvera grâce aux yeux du roi Assuérus. Séduit par sa beauté, le roi en fera sa nouvelle épouse et la reine de Perse… Mais une tragédie se prépare contre le peuple juif. Aman, descendant d’Amalec, l’ennemi héréditaire des Juifs, est officier en chef du roi et cherche à faire périr Mardochée, l’oncle d’Esther qui avait déjoué un complot contre le roi ; avec Mardochée c’est tout le peuple juif qui est menacé de mort. Il les accuse de ne pas respecter les lois coutumes religieuses. Assuérus lui donne pouvoir d’exterminer tout le peuple juif avec Mardochée, et sans le savoir sa propre épouse…Aman prépare l’extermination de tous les Juifs, femmes et enfants y compris. C’est à ce moment absolument tragique qu’Esther se tourne vers le Dieu de son peuple pour l’implorer : « La Reine Esther, dans l’angoisse mortelle qui l’étreignait, cherchait refuge auprès du Seigneur. Elle enleva ses vêtements d’apparat et prit des vêtements de deuil et d’affliction. Au lieu de parfums précieux, elle se couvrit la tête de cendre et de poussière » (verset 17k, voilà qui nous rappelle la célébration des cendres !).  

« Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, tu es béni. Viens à mon secours car je suis seule, et je n’ai pas d’autre défenseur que toi, Seigneur ». Esther dans sa prière fait un bel acte d’abandon entre les mains du Seigneur. Le dernier mot de sa prière, que nous ne méditons pas dans la lecture de ce jour, est de demander au Seigneur : « Libère moi de la peur » (verset 17z). Voilà qui peut être une demande nécessaire à faire à notre Père des cieux, alors que le virus alimente des peurs dans les cœurs… 

La prière d’Esther sera exaucée et Aman sera pendu à la potence qu’il avait fait dresser pour Mardochée. De cette épopée, naîtra la fête de Pourim (fête des sorts : le sort de l’oppresseur et des opprimés a été changé), équivalent d’un carnaval où l’on se déguise pour fêter la libération du peuple d’Esther. 

Jésus nous parle de la prière de demande, insistant sur son importance : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira » (Mt 7,7). Pourquoi demander si nous avons la certitude que Dieu nous entend et nous exauce ? Jésus donne l’image de la paternité humaine qui est comme une lointaine esquisse de la paternité de Dieu : si un Père « normal » sait donner ce qui est bon pour son fils, « combien plus » (verset 11) notre Père des cieux nous donnera-t-il de bonnes choses ! La surabondance de l’amour de notre Père des cieux tient dans cet infiniment beau « combien plus » ! 

Si nous demandons à Dieu c’est pour entrer dans une relation filiale, à l’exemple de Jésus : si nous nous ouvrons à sa bonté infinie, nous avons déjà commencé à recevoir sa grâce. 

Demandons la grâce de la confiance d’Esther et de Jésus en l’amour du Père !

 

Pour réviser nos classiques : la prière d’Esther, dans la tragédie de Racine (Esther, Acte I, scène 4) 

« Ô mon souverain roi,
Me voici donc tremblante et seule devant toi !
Mon père mille fois m’a dit dans mon enfance
Qu’avec nous tu juras une sainte alliance,
Quand, pour te faire un peuple agréable à tes yeux,
II plut à ton amour de choisir nos aïeux :
Même tu leur promis de ta bouche sacrée
Une postérité d’éternelle durée.
Hélas ! ce peuple ingrat a méprisé ta loi;
La nation chérie a violé sa foi;
Elle a répudié son époux et son père,
Pour rendre à d’autres dieux un honneur adultère :
Maintenant elle sert sous un maître étranger.
Mais c’est peu d’être esclave, on la veut égorger :
Nos superbes vainqueurs, insultant à nos larmes,
Imputent à leurs dieux le bonheur de leurs armes.
Et veulent aujourd’hui qu’un même coup mortel
Abolisse ton nom, ton peuple, et ton autel.
Ainsi donc un perfide, après tant de miracles,
Pourrait anéantir la foi de tes oracles,
Ravirait aux mortels le plus cher de tes dons,
Le Saint que tu promets et que nous attendons ?
Non, non, ne souffre pas que ces peuples farouches,
Ivres de notre sang, ferment les seules bouches
Qui dans tout l’univers célèbrent tes bienfaits;
Et confonds tous ces dieux qui ne furent jamais.
Pour moi, que tu retiens parmi ces infidèles,
Tu sais combien je hais leurs fêtes criminelles,
Et que je mets au rang des profanations
Leur table, leurs festins, et leurs libations;
Que même cette pompe où je suis condamnée,
Ce bandeau dont il faut que je paraisse ornée
Dans ces jours solennels à l’orgueil dédiés,
Seule et dans le secret, je le foule à mes pieds;
Qu’à ces vains ornements je préfère la cendre,
Et n’ai de goût qu’aux pleurs que tu me vois répandre.
J’attendais le moment marqué dans ton arrêt,
Pour oser de ton peuple embrasser l’intérêt.
Ce moment est venu : ma prompte obéissance
Va d’un roi redoutable affronter la présence.
C’est pour toi que je marche : accompagne mes pas
Devant ce fier lion qui ne te connaît pas;
Commande en me voyant que son courroux s’apaise,
Et prête à mes discours un charme qui lui plaise :
Les orages, les vents, les cieux te sont soumis;
Tourne enfin sa fureur contre nos ennemis ». 

 
Père Etienne Maroteaux,
Curé de Sainte-Marguerite et Sainte-Pauline du Vésinet


Mercredi 24 février

 

Chers frères et sœurs, 

L’être humain est et sera toujours à la recherche de signes de la présence de Dieu. Combien de fois avons-nous entendu des gens dire qu’ils ne pouvaient pas avoir la foi, parce que Dieu ne leur avait pas donné de signes, malgré leurs demandes insistantes. 

Pourtant Dieu ne cesse pas de faire signe. Mais il faut la foi pour les voir. Il faut voir au-delà du visible. Ce qui n’est pas si simple ! 

Plusieurs fois dans les Evangiles on demande à Jésus de donner des signes pour prouver qu’il est bien le Messie. Dans l’Evangile de Matthieu et celui de Marc, la demande de signe vient après que Jésus a multiplié les pains ; cela ne suffit pas aux pharisiens pour croire ; En Saint Luc, cette demande fait suite à l’expulsion d’un démon. 

Dans l’Evangile de Jean, les signes que Jésus accomplit ne suffisent pas toujours pour faire entrer dans la foi : après la multiplication des pains, Jean nous dit : « À la vue du signe que Jésus avait accompli, les gens disaient : "C’est vraiment lui le Prophète annoncé, celui qui vient dans le monde " » (Jn 6,14) ; mais Jésus n’est pas dupe : quelques versets plus loin, après le récit de la tempête apaisée, Jésus dit aux disciples qui le cherchent : « Vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé de ces pains et que vous avez été rassasiés » (Jn 6,26). Demander des signes à Jésus alors qu’il vient d’en donner n’est pas le signe d’une foi très vaillante !  

C’est l’amour du Christ sur la croix qui deviendra le signe par excellence. 

C’est bien ce que Jésus veut dire en donnant Jonas comme signe de la venue du Royaume. L’Evangéliste Mathieu explicite le signe de Jonas, en le reliant au mystère de la mort et de la résurrection de Jésus : « En effet, comme Jonas est resté dans le ventre du monstre marin trois jours et trois nuits, le Fils de l’homme restera de même au cœur de la terre trois jours et trois nuits » (Mt, 12,40). Luc met davantage en avant la proclamation de Jonas qui suffit comme signe appelant à la conversion les gens de Ninive (Jon 3,8-10), mais il donne un autre signe, celui de la sagesse de Salomon qui a suffi à subjuguer la reine de Saba. C’est comme si Jésus disait que sa Parole avait moins d’effet dans le cœur de ses contemporains que Jonas ou Salomon. 

Revenons un instant au conte délicieux et plein d'humour de Jonas et sa baleine. Je vous invite à le (re)lire, c’est le texte le plus court de la Bible (58 petits versets) !

Jonas reçoit la mission d'appeler la ville de Ninive à se convertir. Ninive est la pire ennemie d'Israël, Ninive la païenne, l'envahisseuse, Ninive qui a contraint le peuple hébreu à la déportation... Jonas qui connaît bien Dieu résiste à Dieu ; parce qu'il sait trop bien que Dieu pardonnera : comment Dieu peut-il pardonner à nos ennemis ? Jonas ne veut même pas imaginer que le pardon de Dieu pour les ennemis soit possible : « Seigneur, ne compte pas sur moi pour cela ; c'est au-dessus de ma force ». 

Jonas fuit la demande de Dieu prend un bateau pour le sud de l’Espagne, aux antipodes de Ninive. Dieu déchaîne une tempête. Ayant avoué en être la cause, Jonas est lancé à la mer par les marins et est avalé par un gros poisson. Celui-ci sauve ainsi Jonas. Dieu insiste ; Jonas est vaincu et appelle Ninive à la conversion ; sa parole est efficace : Dieu pardonne. Jonas se met en colère. 

Jonas, c'est chacun de nous lorsque nous résistons à Dieu, lorsque nous refusons que Dieu fasse grâce à ceux que nous n'aimons pas : dans notre vie, il n'est pas toujours évident que nous acceptions que Dieu pardonne à ceux qui nous font du mal. Dieu malgré nos refus, conduit toute chose vers son dessein de vie, de bienveillance et de pardon. 

Jonas est témoin de la Parole qui sauve, qui donne le pardon, qui donne la vie. Jonas passe trois jours dans la nuit de la baleine avant d'être témoin de la lumière de ce Dieu qui n'est que pardon et miséricorde.  

Jonas est le spectateur dépassé de l'amour de Dieu ; puissions-nous l''être aussi !


Mardi 23 février

 

Chers frères et sœurs, 

Jésus nous apprend à prier ; c’est à la demande d’un de ses disciples parce qu’il voit Jésus prier : « Seigneur, apprends-nous à prier ! » (Lc 11, 1), Il leur donne alors cette prière ; C’est « LA prière », par excellence, le « Notre Père » qui parle de son intimité avec le Père. 

« Quand vous priez …, dites : ‘Notre Père …’ », leur répond Jésus (Mt 6, 7.8). 

Il est difficile d’effleurer en quelques lignes une telle prière qui a valu des volumes entiers de commentaires parfois brillants !  

« Le Notre Père : prière même de Jésus, prière du Fils unique de Dieu devenue prière commune de tous les fils de Dieu, frères et sœurs de Jésus » (Mgr Lustiger, la Messe p.170).  

« Mon Père est votre Père » (Jn 20,17) ; ces mots de Jésus expriment le sens de son existence donnée à son Père et à ses frères. Elle est prière fraternelle et filiale. Cette prière nous ouvre à l’amour fraternel, la simplicité et la joie. 

Il est magnifique de méditer sur les deux premiers mots : « Notre Père » ; je me souviens, lorsque j’étais enfant, en colonie de vacances, un prêtre nous racontait l’histoire (peut-être inventée, peu importe), d’une bergère qui n’allait pas plus loin dans sa prière. Elle s’arrêtait à ces deux mots, infinis, dont nous ne prendrons jamais toute la mesure. Elle avait tout compris dans sa simplicité. 

Le mot Père est chargé d'affection et de tendresse et nous parle du visage du Dieu vers lequel nous nous tournons avec confiance. Abba, le mot araméen que Jésus emploie, est très affectueux : « papa, père bien-aimé ».  

Dieu n’est pas un Dieu lointain, même si la suite de la prière nous rappelle qu’il est aux « cieux », Dieu est tout proche, comme un Père qui aime ses enfants et veille sur eux !  

« En appelant Dieu Père, nous affirmons que l'origine de notre existence est en lui, que nous avons été voulus, pensés, aimés et appelés à la vie par ce « Père qui est aux cieux ». Cette certitude donne son sens à notre vie » (Enzo Bianchi).  

Ce qui est extraordinaire, c’est de comprendre que ce « Notre Père » est d’abord « la prière du Seigneur ». C’est la prière que Jésus a dite à son Père, celle qu’il nous partage au nom de son Père : « Je leur ai donné les paroles que tu m’avais données » (Jn 17, 8). C’est la prière du Fils de Dieu fait homme.  

C’est une prière divine et en même temps très humaine, puisque Jésus partage nos besoins (la volonté de Dieu, le pain, le pardon…). En priant cette prière de Jésus, nos désirs deviennent plus grands, plus beaux : la prière nous tourne vers le plus grand amour. 

Nous prions « Notre Père » ; nous ne disons pas seulement « Mon Père », chacun de notre côté. Parce que la prière de Jésus nous rappelle que nous ne pouvons pas nous passer des autres, que nous ne nous sauvons pas seuls (Cf Pape François, Tous frères § 137 : « Ou bien nous nous sauvons tous, ou bien personne ne se sauve »). C’est bien moi qui prie le Père, mais ma prière est toujours la prière de tous. C’est toute l’humanité qui est présente dans cette prière de fraternité dans le Christ. Nous demandons pour tous d’être fils d’un même Père et frères dans le Christ. 

A chaque Eucharistie, le « Notre Père » prend tout son sens. La présence du Christ dans le pain de l’eucharistie nous fait demander en vérité : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ». 

Remettons-nous en toute simplicité, comme le Christ Jésus, entre les mains de son Père, qui est « Notre Père ».

 

Lundi 22 février

 

Chers frères et sœurs, 

Nous fêtons aujourd’hui la « chaire de St Pierre » (mot qui vient du latin cathedra, le siège de l’évêque, d’où celui-ci prêchait). La chaire de saint Pierre est un siège en bois conservé à Saint-Pierre de Rome qui rappelle la mission de Pierre, et donc l’autorité du pape. Dès le IVe siècle on a commencé à fêter la chaire de saint Pierre. L’Eglise primitive a très tôt reconnu ses racines dans la profession de foi de Pierre à Césarée. 

Jésus s’est laissé accompagner par ses disciples, qui l’ont suivi, l’ont entendu, l’ont vu agir, guérir et pardonner. Ainsi ils ont pu découvrir au-delà de la réalité physique de Jésus, fils de Marie, la vérité existentielle de celui-ci ; aussi Jésus peut commencer à les interroger sur ce qui est dit de lui : « Le Fils de l’homme, qui est-il d’après ce que disent les hommes ? ». C’est la question décisive que les Evangélistes mettent tous en valeur. 

Toutes les réponses appartiennent au passé prophétique, de Jean-Baptiste à Elie, en passant par Jérémie. Personne ne voit en Jésus celui qui accomplit la promesse…Il n’est pas si facile de voir au-delà du visible et de pénétrer le mystère d’une personne, encore plus pour Jésus ! 

C’est Pierre qui prend ensuite la parole au nom des douze, lorsque Jésus passe de la 3° personne (« que disent les hommes ? ») à la 2° personne : « Vous, que dites-vous ? ». 

Dans la mentalité biblique, la Parole s’accomplit lorsqu’elle est prononcée ; dire, c’est faire ; Pierre lorsqu’il proclame sa foi : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant », accepte que Jésus soit le Sauveur dans sa vie. Jésus est reconnu par Pierre dans sa divinité, même s’il n’en comprend pas encore toute la portée ; il lui faudra la croix pour accepter la croix ! 

Jésus connaît le cœur des hommes et proclame une béatitude : ce que Pierre a compris lui vient non pas de « la chair et du sang », c’est-à- dire de ses seules capacités humaines, mais de l’accueil dans la foi de la volonté du Père. 

Jésus donne alors un nouveau nom à celui qui porte le nom de Simon depuis sa naissance ; tout nom en langue sémitique a une signification existentielle, exprimant la réalité la plus profonde de son identité :  Simon qui veut dire « celui qui écoute » (Simon a été à l’écoute de la volonté de Dieu qui lui a permis de dire sa foi) ; Simon est fils de Jonas : « la colombe », c’est le signe de Jonas, dont va parler Jésus, qui nous dit la mort et résurrection, les trois jours dans le ventre de la baleine ; Simon passera par la mort pour être sauvé par le Christ ; quand Jésus donne à Simon le nouveau nom de Pierre, il exprime ce que vit Pierre, qui est constitué par Jésus comme le « rocher » de son Eglise : sa maison est bâtie sur le roc (Mt 7,24). Rappelons ici que Dieu est le roc pour son peuple, signe de sa fidélité : il rassasie et nourrit son peuple au désert : dans l’aridité du désert alors que le peuple murmure contre lui, Moïse frappe le rocher d’où jaillit l’eau (Ex 17,1-7) : Dieu seul peut désaltérer nos soifs les plus profondes, Dieu seul peut nous donner une paix du cœur qui dure.  

Pierre est désormais constitué comme le rocher de l’Eglise, le peuple de Dieu, en raison de sa foi et de la grâce du Christ : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église » (Mt 16,18) ; cela lui sera confirmé après la résurrection : « Sois le pasteur de mes brebis. » (Jn, 21-15-17). 

C’est ainsi que Pierre invitera les « pasteurs de l’Eglise » à devenir comme lui « les modèles du troupeau » (1 Pi 5,3). 

Prions pour les successeurs de Pierre ne ce jour, en particulier pour notre pape François, dont le nom qu’il a reçu du Seigneur (François d’Assise) évoque la simplicité et la joie de l’Evangile