Touchez mes mains et mes pieds, père Rupnik, XXI° siècle

 

 

Dimanche 18 avril

 

Chers frères et sœurs,  

Finalement nous sommes de bons disciples des disciples de Jésus ! en effet, ne sommes-nous pas un peu aujourd’hui comme eux après la résurrection : nous avons besoin de temps pour reconnaître le Ressuscité qui vient à notre rencontre !

Jésus a-t-il tellement changé pour que personne ne le reconnaisse, même pas ses plus proches amis ?

Les disciples d’Emmaüs viennent de rejoindre les onze et leurs compagnons qui témoignent de la rencontre de Pierre avec le Ressuscité ; à leur tour, les deux disciples témoignent de leur dialogue avec Jésus sur la route, et comment ils l’ont reconnu à la fraction du pain ; Pour autant, malgré ces rencontres, les disciples ont toujours du mal à reconnaître Jésus qui vient au milieu d’eux. Pire encore, ils sont frappés de crainte en croyant voir un esprit… Décidément, il est bien difficile de discerner les rencontres avec Jésus ressuscité ! Il ne peut pas en être autrement pour nous ! Pouvons-nous dire que nous avons déjà reconnu Jésus ressuscité dans notre vie ? Et à quels moments ?

Jésus va les aider à le reconnaître avec patience et pédagogie :

    D’abord en leur montrant ses blessures :

    Le corps de Jésus ressuscité a gardé les traces de ses plaies ; aussi leur montre-t-il ses mains, ses pieds et son côté, les invitant à faire usage de leurs sens pour comprendre.

    Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer le corps glorieux de Jésus ne voit pas ses cicatrices disparaître. C’est ce qui donnera des hérésies « docétistes » qui niaient la réalité corporelle de Jésus ressuscité : Jésus fait « semblant » d’être homme, mais comme il est Dieu il n’a pas de corps et ne souffre pas.

    Or Jésus porte à tout jamais les stigmates des blessures qui lui ont été infligées et qui l’ont fait souffrir ; elles sont bien réelles, contrairement à l’esprit que les disciples pensent voir : « Touchez-moi, regardez : un esprit n’a pas de chair ni d’os comme vous constatez que j’en ai. » ( Lc 24,39) …. Mais « ce ne sont plus des cicatrices, mais des sources de lumière » (dom André Louf). Elles montrent la gloire de Dieu. Elles ne font plus souffrir ; elles sont juste la preuve du plus grand amour qu’il nous soit donné de contempler : « Voyez mes mains et mes pieds, Je suis » (Lc 24,30). Ses plaies « sources de lumière » sont le signe de sa divinité.

    En voyant ces plaies transfigurées, les apôtres reconnaissent enfin celui qui a été sur la croix. Les disciples sont alors pris entre les doutes et la joie : « Dans leur joie, ils n’osaient pas encore y croire, et restaient saisis d’étonnement » (Lc 24,41).  

    Et pour leur montrer la réalité de ce corps humain, Jésus demande à manger pour qu’ils ne le prennent plus pour un esprit. Jésus continue son existence physique, mais autrement !

    Nos plaies, nos blessures en train d’être transfigurées, parce que Jésus les porte avec nous peuvent nous aider à reconnaître la présence de Jésus ressuscité proche de nous, lui qui nous donne sa paix.  

    Ensuite en leur dévoilant le sens des Ecritures :

    Jésus les aide à comprendre ce qui lui est arrivé, sa mort et sa résurrection annoncées dans les Ecritures. Comme à Emmaüs, avec patience Jésus « ouvre leur intelligence à la compréhension des Écritures » (Lc 24,45).

    La lecture de la Parole de Dieu peut nous « brûler le cœur » de la présence aimante de Jésus ressuscité, comme cela est arrivé aux disciples d’Emmaüs, alors même que Jésus avait disparu à leur regard.

    « Nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru. Dieu est amour » (1 Jn 4,16). C’est la confiance en l’amour de Dieu qui nous permet de le reconnaître présent à nos côtés.  Même sans le voir nous croyons que nous sommes aimés du Seigneur, plus que tout : « Le Christ m’a aimé et s’est livré pour moi », dira Paul (Ga 2,20).  

    La paix que donne le Christ ressuscité en est le signe infaillible : « La paix soit avec vous ».


« A vous d’en être les témoins » (Lc 24,48) …

 

 


Samedi 17 avril

 

Chers frères et sœurs,  

Après la surabondance du don de Jésus, l’épreuve de la traversée des tempêtes ; la foi souffle parfois le chaud et le froid en nos vies comme en celle des disciples !  

Immédiatement après la multiplication des pains, l’Evangéliste Jean évoque un second miracle : Jésus marche sur les eaux du lac de Galilée. 

Jésus vient de quitter les siens pour monter seul sur la montagne ; il laisse ses disciples qui doivent se sentir terriblement seuls au milieu des ténèbres (Jn 6,17) ; ceux-ci descendent au contraire vers la mer pour embarquer vers Capharnaüm. Et les flots se déchaînent : « Un grand vent soufflait, et la mer était agitée » (verset 18). De quoi prendre peur, même pour des pêcheurs aguerris comme eux. Le lac en effet est réputé pour ses tempêtes impressionnantes. Les coups de rames contre les vagues qui les assaillent doivent les épuiser.  

C’est Jésus lui-même qui prend l’initiative de les rejoindre ; il s’approche de la barque. Ils ne le reconnaissent pas immédiatement lorsqu’il marche vers eux sur le lac. Les douze prennent peur, sans doute la crainte devant la manifestation divine. 

Une fois de plus, c’est Jésus qui leur fait signe : « Je suis » (cf le buisson ardent). « N’ayez pas peur » : c’est Dieu qui parle pour dire qu’il ne cesse pas d’être présent même lorsqu’il semble absent. Jésus est vainqueur de la tempête : il apaise les eaux par sa Parole. La mer est le symbole des forces du Mal dans la mentalité biblique. Les disciples rassurés veulent prendre Jésus avec eux, mais la barque déjà touche terre. Les disciples ont fait l’expérience que le Seigneur vient les sauver par la puissance de son action et de sa Parole. Jésus est déjà le Seigneur, vainqueur des ténèbres et des tempêtes de notre vie humaine par sa Résurrection. C’est le sens de cette lecture postpascale d’un récit qui se déroule avant la résurrection. Celui qui dit « Je suis », au cœur de la tempête, de sa puissance de Fils de Dieu, est aussi celui qui sera vainqueur du Mal et de la mort. 

« Avoir la foi, au milieu de la, tempête, veut dire garder son cœur tourné vers Dieu, vers son amour, vers sa tendresse de Père. Jésus voulait enseigner cela à Pierre et à ses disciples, et à nous aussi aujourd’hui. Dans les moments sombres, dans les moments de tristesse, Il sait bien que notre foi est pauvre – nous sommes tous des gens de peu de foi, nous tous, moi aussi, tous – et que notre chemin peut être tourmenté, bloqué par des forces adverses. Mais Il est le Ressuscité ! N’oublions pas cela : Il est le Seigneur qui a traversé la mort pour nous emmener en lieu sûr. Avant même que nous commencions à le chercher, Il est présent à nos côtés. Et en nous relevant de nos chutes, il nous fait croître dans la foi » (Pape François, 9/8/2020). 

Jésus vient toujours rejoindre l’humanité qui traverse les tempêtes de la vie pour la rassurer et lui donner la paix. Ne l’oublions pas en ces temps où le monde semble naviguer à vue face à la tempête virale. 

Seigneur, donne-nous cette confiance en ta présence à nos côtés dans nos tempêtes intérieures ou extérieures ! 

 

 

Vendredi 16 avril

 

Chers frères et sœurs,  

Voilà un récit qui commence dans une ambiance pascale : la Pâque, c’est le temps où l’on fête les merveilles que Dieu accomplit pour son peuple. Jésus va revivre cela avec les foules. 

Le pape François fait remarquer que « l'une des choses que Jésus aimait le plus était d'être avec la foule, car cela aussi est un symbole de l'universalité de la rédemption. Et l'une des choses qui plaisait le moins aux apôtres était la foule, car ils aimaient être auprès du Seigneur, entendre le Seigneur », et parce que les foules venaient souvent les déranger dans ce lien privilégié avec Jésus (homélie Ste Marthe, 24/4/2020). 

La scène se passe en Galilée, où se rassemble une foule nombreuse, bigarrée, en ce « carrefour de nations », sans doute composée de juifs et de non-juifs ; c’est un peu une ambiance de kermesse : on se rassemble autour de Jésus parce qu’il est précédé de sa réputation et des miracles qu’il a accomplis. 

Il y a une certaine solennité : Jésus gravit la montagne, lieu de la rencontre de Dieu ; il s’assied au sommet, au milieu de ses disciples ; il embrasse la foule nombreuse du regard, et dans sa tendresse, il comprend la détresse de ce monde qui vient à lui ; « Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ? » (Jn 6,5). « Jésus savait bien ce qu’il allait faire » ; alors pourquoi cette question posée à Philippe ? Parce que le constat de l’impuissance humaine est nécessaire. L’homme ne peut pas répondre seul aux faims de ses frères : cinq pains, deux poissons partagés par un enfant, comme seuls les enfants savent donner spontanément ; mais « qu’est-ce que cela pour tant de monde ? » (Jn 6,9). Le manque doit être comblé par Jésus. Le don du Christ paraît d’autant plus éclatant que la faiblesse des moyens humains se fait jour. 

Jésus fait assoir la foule ; avec ce qu’apporte cet enfant, Jésus va rassasier l’immense foule, 5000 personnes. Déjà flotte un avant-goût de l’eucharistie dans les gestes de Jésus : il « prend le pain, rend grâces » (c’est le mot eucharistie) et distribue lui-même les pains à la multitude, en un geste d’infinie tendresse.  

La faim des hommes est comblée au-delà de toutes mesures ; les foules sont « rassasiées », ils ont pu manger « autant qu’ils en voulaient », il n’y a pas de restriction dans les dons du Christ. 

Il y a là infiniment plus que la manne au désert que l’on ne pouvait pas conserver et qui devenait immangeable (Ex 16,20). Le pain que le Christ donne, se conserve et peut nourrir la multitude ; Jésus sera ce pain qui rassasie l’homme pour toujours : Jésus demande que l’on ramasse le surplus avec précaution, pour que tous en reçoivent, « afin que rien ne se perde » (Jn 6,12) : douze corbeilles de pains sont remplies, signe de la gratuité, c’est le chiffre des tribus d’Israël, celui de l’Eglise. 

Devant un tel signe, les foules ne manquent pas de vouloir faire de Jésus un roi qui les délivre de la puissance romaine. Pourtant ce miracle que Jésus a accompli était donné pour conduire ailleurs : pour accepter de recevoir le vrai pain qu’est Jésus lui-même : il va « donner sa chair pour la vie du monde » (Jn 6,51). Jésus conduit son peuple toujours autrement qu’il le voudrait. 

Aussi Jésus s’éloigne de nouveau sur la montagne pour retrouver son Père dans la communion de la prière.

 

 

Jeudi 15 avril

 

Chers frères et sœurs,  

« Celui que Dieu a envoyé dit les paroles de Dieu, car Dieu lui donne l’Esprit sans mesure. Le Père aime le Fils et il a tout remis dans sa main » (Jn 3,34). 

Fermez les yeux et dites-moi : Qui selon vous prononce ces Paroles ? pour une fois le découpage liturgique ne nous dit pas clairement les choses et nous tend un piège… La plupart d’entre nous jurerait que c’est le Christ qui prononce ces mots. Et bien en fait on ne sait pas précisément ! Et c’est fort intéressant pour comprendre l’inspiration des Ecritures : en effet, l’Evangéliste Jean est tellement imprégné de l’amour du Seigneur, que ce qu’il écrit pourrait être des Paroles du Christ ; c’est le signe que Jean est inspiré par l’Esprit-Saint. 

Ce sont des paroles de Jean-Baptiste ou, pour certains, de Jean l’Evangéliste, qui commenterait alors les paroles du Baptiste. Ce dernier répond à des interrogations sur sa place et son rôle face à Jésus ; tous les deux baptisant, cela pourrait créer une rivalité ; mais Jean le Baptiste sait rester à sa place ; il rappelle qu’il est seulement « l’ami de l’époux », c’est-à-dire du Christ ; il est le témoin humble qui doit s’effacer pour laisser toute la place à Jésus : la venue du Christ suffit à le combler de joie. 

Jésus seul peut témoigner de l’amour du Père, parce qu’il vient d’en-haut et qu’il a reçu du Père l’Esprit « sans mesure ». « Le Père aime le Fils et il a tout remis dans sa main » (Jn 3,34).  Saint Irénée de Lyon parlera du "Fils et de l'Esprit-Saint comme les deux mains du Père".

Sans l’Esprit l’homme ne peut tenir qu’un langage terrestre. Mais le croyant peut témoigner en communion avec le Christ parce qu’il est appelé lui aussi à « venir du ciel ». Le croyant est comme assimilé à Jésus, parfois son témoignage comme celui du Baptiste n’est pas reçu. 

Seuls ceux qui croient en Jésus peuvent devenir enfants de Dieu. Ils sont ces « petits » qui se laissent former par Jésus et auxquels le Père ne cesse pas de vouloir donner. 

Le refus de croire provoque « la colère de Dieu » ; cette colère est le signe de la tristesse de Dieu lorsque l’homme refuse son amour et nie le don de Dieu. 

Celui qui prononce ces mots a intériorisé la mission de Jésus à qui le Père a confié l’œuvre du salut de l’humanité : tout repose dans les mains de Jésus, ces mains qui bénissent, ces mains qui guérissent, ces mains qui rompent le pain, ces mains ouvertes pour pardonner aux pécheurs et à ceux qui le maltraitent, ces mains qui seront clouées sur le bois… 

Jean-Baptiste témoignera de ce qu’il a contemplé en Jésus, lui qui est le Fils du Père en qui l’Esprit repose en plénitude, jusqu’à donner sa vie. 

Les disciples après la résurrection prennent le relais de ce témoignage : Pierre fait face avec fermeté aux menaces lorsqu’on veut l’empêcher de témoigner de la résurrection de Jésus. Le courage de Pierre, qui était un faible, vient de l’Esprit-Saint. C’est ce même Pierre qui a renié Jésus qui témoigne avec force et sans compromis : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Ac 5,29). 

Seigneur ressuscité donne-moi le courage de témoigner de ton amour infini par toute ma vie.

 

 

 

Mercredi 14 avril

 

Chers frères et sœurs,  

Continuons à cheminer avec le Christ aux côtés de Nicodème. 

Jésus mène Nicodème toujours plus loin, à de très hautes altitudes, ; ces « réalités du ciel », où l’homme ne peut parvenir seul ; Jésus nous conduit là où la parole devient contemplation : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3,16-17).  

L’amour infini de Dieu nous est acquis, sans restriction aucune, puisqu’il nous fait le don de son Fils pour nous sauver de la mort. Quel plus grand don le Père pouvait-il faire à l’humanité ! Quelles merveilles que ces Paroles bouleversantes du Christ qui devraient toujours de nouveau nous stupéfier ! Nous pouvons les laisser résonner à l’infini en nous. L’amour de Dieu culmine sur la croix : en Jésus, son Fils, « Dieu nous aime », « Dieu nous donne ». C’est là que nous entrons dans la vie de Dieu. C’est ce qui reste à découvrir par le cœur pour Nicodème ; il va avoir à passer des ténèbres à la Lumière, à consentir à la Lumière que donne le Christ ; il sera présent non loin de la croix de Jésus et prendra grand soin de son corps après sa mort (Jn 19,39). Peut-être a-t-il enfin compris que l’amour est plus fort que la mort ? 

La seule raison qui empêcherait d’accéder à la vie de Dieu, ajoute Jésus, serait le refus volontaire d’accueillir la Lumière du Christ. Lorsque nous accueillons la Lumière du Christ, celui-ci nous ouvre les portes de la vie. Pour que sa vie puisse jaillir en nous et à travers nous. 

Nous sommes dans ce dialogue avec Nicodème au cœur du mystère de l’amour trinitaire : le Père qui envoie son Fils en notre humanité pour que l’homme vive de leur Esprit d’amour. Dieu rejoint l’homme pour que l’homme puisse le rejoindre. 

Comme Nicodème est invité à quitter le terrain de ses « connaissances » intellectuelles et spirituelles, nous avons aussi à nous laisser conduire en terre inconnue par l’Esprit ; celui-ci nous mènera là où il veut, toujours pour notre bien. « Puisque l’Esprit nous fait vivre, marchons sous la conduite de l’Esprit » (Ga 5,25). 

C’est bien l’Esprit-Saint qui agit dans la première Eglise dont nous entendons le récit en Luc dans les Actes des apôtres : aujourd’hui Pierre et les apôtres emprisonnés sont miraculeusement libérés de l’enfermement par un ange du Seigneur (Ac 5,17-26) ; et ils retournent aussitôt, sans hésiter, annoncer la Bonne Nouvelle avec assurance. 

Entrer dans la foi n’est pas seulement de l’ordre de l’effort ou de la volonté, mais de l’ordre de l’accueil de l’action de Dieu en nous. « Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit, car sans moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15,5). 

Les apôtres ont porté du fruit en se laissant faire par Dieu.

 

 

Mardi 13 avril

 

Chers frères et sœurs,  

Décidément, ce cher Nicodème nous devient très familier ; nous n’arrêtons pas de le croiser en ce moment, comme un compagnon de route qui nous interroge et nous stimule dans notre foi ! 

Jésus continue son dialogue avec Nicodème qui peine à le suivre, comme s’il était essoufflé par le chemin trop abrupt pour lui, comme s’il n’arrivait pas à accueillir le souffle vivifiant que Jésus lui propose ; Jésus lui a révélé que naître à nouveau, c’est accueillir en son cœur le souffle de vie, l’Esprit, qui est un don de la grâce : « Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit » (Jn 3,8). L’Esprit renouvelle l’homme tout entier, il donne la foi en la puissance de l’action de Dieu. 

Mais Nicodème est sec ; il n’entrevoit pas l’ombre du souffle de l’Esprit : « Comment cela peut-il se faire ? » (Jn 3,9). On pense à la question de Marie à l’ange : « Comment cela va-t-il se faire ? » (Lc 1,34) ; à la différence près que Marie a confiance parce qu’elle sait que Dieu est maître de l’impossible. Malgré les paroles de Jésus sur l’Esprit qui rend toutes choses nouvelles et possibles, Nicodème a du mal à décoller des « choses terrestres » et des réalités de la chair (Jn 3,12). 

« Tu es un maître qui enseigne Israël et tu ne connais pas ces choses-là ? » lui dit Jésus, non sans humour (Jn 3,10). Il faudrait que Nicodème accepte de ne plus « être maître » pour recevoir ce que Jésus veut lui donner, mais il a sans doute les mains (ou plutôt l’esprit !) trop pleines de son savoir. 

Il faut bien le souffle de l’Esprit pour que Nicodème puisse entendre ce qui est vraiment nouveau, ce que Jésus va lui confier. Le ton se fait encore solennel pour réveiller son attention : « Amen, amen, je te le dis » (cette expression se trouve 25 fois dans la bouche de Jésus dans l’Evangile de Jean ; ainsi nous entendions il y a peu : « Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul », Jn12, 24...). C’est comme un roulement de tambour pour nous prévenir : « Attention, réveillez-vous, ouvrez vos oreilles, ce qui suit est essentiel ! ». Le mot Amen nous est familier, nous le répétons de nombreuses fois dans nos prières personnelles et collectives : il exprime que nous croyons ce qui est solide, ce qui est sûr, ce qui mérite notre confiance. 

Jésus veut lui révéler ce que personne n’a jamais encore imaginé, « les réalités du ciel » (Jn 3,12) qui sont parfois difficiles à croire ; Jésus parle du salut qui advient en sa personne : « Nul n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme » (Jn 3,13). Comme l’homme est trop petit pour s’élever à Dieu, Dieu vient à lui. La naissance de l’homme à la vie de Dieu passe par l’incarnation de Jésus, par sa naissance en notre chair. Voilà ce grand secret que Jésus vient dévoiler ! Dieu se laisse voir et toucher en un homme ; il parle en Jésus un langage d’homme. Et mystérieusement, Jésus annonce également son élévation, qui sera aussi l’élévation de l’humanité en Dieu.  

Ces sommets sont difficiles à atteindre pour Nicodème qui reste sans voix, face à ces annonces grandioses de Jésus. 

Rendons grâce pour le Ressuscité qui est monté au ciel et nous donne son Esprit sans compter !


Lundi 12 avril

                                                                         

Chers frères et soeurs,

Nicodème est-il le premier catéchumène, le premier candidat à chercher à entrer dans la foi au Christ ? En tous cas, Jésus va faire un bout de chemin avec lui, mais cela aboutira un peu à une impasse. 

Nicodème avance dans la nuit, pour aller trouver Jésus, peut-être par peur du « qu’en dira-t-on » ? Nicodème fait penser à tous ceux d’entre nous qui avancent dans l’obscurité de la foi, et qui espèrent rencontrer la lumière du Christ sur leur chemin. Nicodème est appelé à passer de la nuit à la lumière, mais il aura bien du mal à le faire… 

Nicodème est un pharisien réputé pour sa connaissance de Ecritures, il est un notable, et Jésus le désigne comme un « maître en Israël ». Il a sans doute été impressionné par les signes que Jésus accomplit, il a compris que Dieu ne pouvait pas en être étranger, et il considère Jésus comme un « Rabbi » et un « maître ». Il y a de la solennité dans l’air dans le dialogue qui commence entre deux « maîtres » en théologie ! « Amen, amen, je te le dis », ces mots disent l’importance de ce qui va suivre dans les paroles de Jésus. 

Nicodème est déstabilisé par ce que lui dit Jésus. Au lieu d’un dialogue et d’un échange de savoir, Jésus utilise un langage existentiel ; discours déroutant pour lui : à celui qui veut connaître qui est Jésus (« Tu es venu comme un maître qui enseigne »), le Christ parle de naître : « Nul ne peut connaître Dieu s’il ne naît pas d’en-haut » dit-il à Nicodème. 

Et un malentendu se fait jour dans l’esprit trop savant de Nicodème : En effet, le mot grec utilisé par Jésus a deux sens : « d’en-haut » et « de nouveau ». Il ne comprend pas la portée symbolique de ce que dit Jésus. Il sait qu’on ne peut pas retourner dans le sein de sa mère pour naître de nouveau. Peut-être aussi y-a-t-il chez lui une nostalgie de l’enfance, alors que l’on commence à vieillir… Un intellectuel trop terre à terre, c’est paradoxal ! 

On n’entre pas dans la lumière du Royaume par de simples réflexions ni par un savoir ; il y faut une nouvelle naissance ; et celle-ci nécessite la foi : Celui qui nait de l’eau et de l’Esprit peut « voir le royaume de Dieu ». C’est avec notre cœur de chair que nous sommes appelés à naître de la vie divine. Naître de Dieu, c’est naître avec le Christ. 

Il est impossible à l’homme de naître à la vie de Dieu seul : « Ce qui est né de la chair (l’homme) est chair ; ce qui est né de l’Esprit (de Dieu) est esprit » (Jn 3,6). ; La naissance de Jésus en notre chair produit un bouleversement profond : désormais en Christ, tout homme peut naître de Dieu. Comme le proclame la préface de Noël, lorsque le Christ « prend la condition de l’homme, la nature humaine en reçoit une incomparable noblesse ». En Jésus advient une nouvelle création, une nouvelle naissance, celle que nous recevons le jour de notre baptême.  

La vie de l’homme peut connaître un nouveau commencement, grâce au don de Dieu. 

« "Naître d'en-haut " (Jn 3, 7), c'est naître avec la force de l'Esprit Saint. Nous ne pouvons pas prendre l'Esprit Saint pour nous ; nous pouvons seulement le laisser nous transformer. Et notre docilité ouvre la porte à l'Esprit Saint : c'est Lui qui opère le changement, la transformation, cette renaissance d'en-haut. C'est la promesse de Jésus d'envoyer l'Esprit Saint (cf. Ac1, 8). L'Esprit Saint est capable de faire des merveilles, des choses que nous ne pouvons même pas imaginer » (Pape François, 21/4/2020).