Le couronnement de la Vierge, Fra Angelico

Lundi de Pentecôte 24 mai

Chers frères et sœurs,  

Ceci sera ma dernière méditation avec vous en ce temps de confinement. Les bonnes choses ont une fin. 97 jours passés en compagnie du Seigneur dans les Ecritures, et en votre compagnie, du mercredi des cendres au lundi de Pentecôte. Voilà qui est revigorant. Je vous remercie de m’y avoir encouragé par vos témoignages bienveillants pour ce que l’Esprit-Saint essaie de m’inspirer ! 

Que va-t-il se passer dans les mois à venir ? Retrouverons-nous la vie d’avant ? Personne ne peut dire qu’il ne se pose pas la question, à moins de pratiquer la politique de l’autruche. 

Nous avons été usés par ce satané virus, parfois marqués par la maladie, parfois touchés par le deuil d’un proche, souvent éprouvés psychologiquement par le stress, les incertitudes, les contraintes, l’isolement… Nul ne sortira indemne de ce qui nous est arrivé par surprise il y a plus d’un an. 

C’est pour le pire et pour le meilleur que nous avons vécu ce temps de désert : le pire, le départ d’un proche, l’isolement total… le meilleur, de nouvelles solidarités, de nouvelles attentions, de nouveaux modes de relation, l’approfondissement de notre foi (je peux témoigner que le virus a permis des découvertes du Christ) … 

Nul ne sait si nous retrouverons complètement la vie d’avant (avant la pandémie, avant les distances sanitaires, avant les masques…). D’ailleurs la vie d’avant ne s’est pas révélée parfaite ; nous avons encore plus touché du doigt les travers de la mondialisation : si le monde a été malade, il en portera les séquelles qu’il faudra pourvoir soigner, en sortant de la « mondialisation de l’indifférence » que dénonce notre pape. Mais ce qu’il nous faut inventer c’est la vie d’après, en tenant compte de ce qui nous est arrivé. Il s’agit de continuer à vivre pleinement chaque instant dans la grâce, quelques soient les limites du présent « à venir ». 

Marie en ce mois de mai, nous montre l’exemple de cette remise en confiance entre les mains du Seigneur. Si Marie est au pied de la croix, c’est parce qu’elle accompagne son fils dans sa longue et terrible agonie, dans l’espérance de l’amour de Dieu. Marie nous ouvre un regard d’espérance sur les situations les plus sombres de nos vies. 

Depuis trois ans, nous fêtons en ce lundi de Pentecôte « Marie, mère de l’Eglise ». Le Christ sur la croix n’est pas refermé sur ses souffrances, il est toujours attentif aux siens ; il a encore un regard tourné vers l’avenir :  Jésus sur la croix a fait don de sa mère à l’Eglise : « Voici ta mère » (Jn 19,27).  

Marie est désormais une mère pour nous tous, vigilante auprès de chacun de nous, nous invitant à la confiance en l’avenir : elle-même dans la foi pressentait que la croix ne pouvait pas être la fin. Marie accompagne désormais de sa présence maternelle le peuple des croyants dans les aléas de nos histoires humaines. 

Que Marie nous ouvre pour les jours à venir à un regard de confiance et d’espérance ! 

 

 

Dimanche 23 mai

Chers frères et sœurs,  

Parfois nous avons le sentiment que le souffle manque dans nos vies, ou bien que nous nous essoufflons… Quel est le souffle qui nous fait vivre ? Quel est le souffle qui nous conduit ?  

Sans l’Esprit-Saint, l’Ecriture ne serait qu’un beau texte du passé, le Christ serait seulement un personnage de l’histoire, l’Eglise serait une administration et notre vie serait en noir et blanc… 

Mais l’Esprit est bien là comme ce souffle qui anime les Ecritures ; il est ce souffle qui fait de l’Eglise la présence de Jésus ressuscité, ; il est ce souffle qui fait de notre vie le reflet de l’amour de Dieu. 

Cette présence de l’Esprit en nos vies est difficile à voir, parce que l’Esprit est toujours très discret. 

Pourtant, c’est bien l’Esprit qui anime notre foi (parfois même la ranime), la fait s’épanouir en amour. 

Paul, dans l’épître aux Galates, nous rappelle que la liberté, qui est le fruit de la vie dans l’Esprit, est un combat : un combat entre des tendances qui nous enchaînent et nous laissent nécessairement insatisfait, et celles qui nous grandissent et nous libèrent ; tout en effet ne conduit pas à la vie. Paul nomme ces comportements qui nous appesantissent et qui nous donnent un souffle court : ce qui isole l’homme de Dieu : (« idolâtrie, sorcellerie »), ou des autres hommes : (« haines, querelles, jalousie, colère, divisions, sectarisme, rivalité »), ce qui aboutit au repli sur soi (« beuveries, gloutonneries, et autres choses du même genre »). L’expérience de cette « pesanteur » de nos vies est une épreuve qui limite notre désir d’infini. C’est pourquoi l’Esprit vient au secours de sa faiblesse. 

L’Esprit au contraire est gage de liberté : il ouvre les cœurs et construit la communion. 

Il est parfois des choses en nos vies qui apparaissent impossibles. Seule la foi en la force de l’Esprit-Saint peut permettre de croire à la réalisation de l’impossible. L’Esprit-saint nous rend la force de faire ce que nous ne nous sentons pas capables par nos propres forces. L’Esprit est dépassement de nous-mêmes, il peut vaincre nos timidités et nos peurs. 

Si nous nous laissons mener par l’Esprit, il nous donnera de faire ce qui nous semble impossible à vues humaines : avancer vers un pardon, arriver à dépasser les divisions, trouver le courage d’affronter la maladie ou la force de ne pas se laisser submerger par la situation sanitaire, démêler une situation humaine compliquée… 

L’Esprit vient au secours de notre faiblesse. Il nous imprègne jusqu’au plus intime de notre être, dans notre fragilité même, pour nous transformer, pour nous faire porter du fruit. 

Ce que nous rappelle la première Pentecôte du récit des Actes, c'est que l'Esprit-Saint culmine dans la communion fraternelle qui parle à tous et rend visible l'amour de Dieu. Grâce à leur perméabilité à l'action de l'Esprit en eux et parce qu’ils se laissent conduire par lui, les disciples peuvent parler à tous les langues de l'Esprit et se faire comprendre de tous les hommes. La langue de l'amour de Dieu est universelle. 

Et le fruit de l’Esprit est la communion, à l’opposé de tout ce qui divise : « Ayant tous reçu un seul et même Esprit, nous sommes mêlés intimement les uns avec les autres, et avec Dieu » (Cyrille d’Alexandrie). L’Esprit comme le dit Saint Basile est saint parce qu’il tisse des liens : il unit le Père et le Fils, il unit Dieu et les hommes, il unit l’Eglise, et les hommes entre eux.   

Accueillons le souffle du Christ en nos vies, pour vivre en communion avec nos frères ; que l’Esprit anime notre foi et la fasse irradier. 

« Puisque l’Esprit nous fait vivre, laissons-nous conduire par l’Esprit » (Ga 5,25).


Samedi 22 mai

Chers frères et sœurs,  

Nous retrouvons pour la cinquième fois dans l’Evangile le mystérieux « disciple que Jésus aimait » ; le disciple bien-aimé s’est penché sur le cœur du Christ lors du dernier repas (Jn13,23) ; il est présent fidèlement avec Marie au pied de la croix (Jn 19,25) ; il partira au pas de course avec Pierre vers le tombeau vide (Jn 20,2), il sera le premier à entrer dans la foi en la résurrection ; il reconnaîtra Jésus après la résurrection lors de la pêche miraculeuse où Pierre est encore présent ( Jn 21,7). La tradition y reconnaît l’Evangéliste lui-même, qui par humilité ne se nomme pas. 

La fin de l’Evangile de Jean, qui est sans doute écrit par une autre main, donne à contempler de nouveau ensemble les deux disciples qui couraient vers le tombeau vide, Pierre et Jean (Jn 21,20).  

Pierre pose à Jésus la question du devenir de Jean ; ce n’est sans doute pas seulement de la curiosité : Ce texte évoque la vocation personnelle et la marche à la suite du Christ ressuscité. « Et lui, Seigneur, que lui arrivera-t-il ? » ( Jn 21,21). Jean et Pierre sont liés par l’amitié dans leur suite de Jésus. 

Pierre, témoin de la foi, ira jusqu’à donner sa vie comme le Christ, et Jean le disciple bien-aimé, meurt sans doute très âgé, deux destins parallèles dans l’Eglise pour une même suite du Christ ; certains y liront le témoignage de la contemplation chez Jean et de l’action chez Pierre ; tous deux témoigneront de leur amour du Christ, de leur foi de façon différente. « Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? » (Jn 21,23). Variées sont les grâces, variés sont les charismes. Jean sera l’exemple de cette longue fidélité au Christ ; il « demeure » dans le Christ dans l’attente impatiente de la rencontre avec le « Bien-Aimé » ; ce Maître, il le sert dans sa contemplation en écrivant l’Evangile. Il ne s’agit pas de comparer les destins, mais de considérer que le plus important est le « Toi, suis-moi » (Jn21,19) que Jésus vient d’adresser à Pierre. Dans l’amour, chacun est appelé à être fidèle à la grâce de Dieu et à rendre grâce pour ce que le Seigneur accomplit en ses frères. 

« Il y a encore beaucoup d’autres choses que Jésus a faites ; et s’il fallait écrire chacune d’elles, je pense que le monde entier ne suffirait pas pour contenir les livres que l’on écrirait » (Jn 21,25). C’est une porte ouverte sur l’avenir de la foi en Jésus-Christ… 

La Parole de Dieu, l’Esprit-Saint et l’Eglise continuent à agir en ses témoins d’hier, d’aujourd’hui et de demain ; ils embrasent le monde du feu de l’amour du Christ, jusqu’à la fin des temps. C’est une joie de contempler cela ! 

« Sur toute la terre se répand leur message, et leurs paroles, jusqu’aux limites du monde » (Rm 10,18). L’Eglise continue d’écrire ces mots jamais entendus, jusqu’à la venue du Seigneur…


Vendredi 21 mai

Chers frères et sœurs,  

Nous contemplons dans ce texte la délicatesse de la grâce du Ressuscité à l’œuvre (Jn 21,15-19). Il est émouvant de voir Jésus continuer à faire confiance en Pierre qui l’a abandonné au moment le plus crucial. 

La triple question « M’aimes-tu ? » exprime le désir de Jésus de donner à Pierre de dépasser son triple reniement lors de la passion dans la grâce du pardon. « Dieu donne toujours aux hommes une deuxième possibilité ; souvent une troisième, une quatrième, un nombre infini de possibilités » (R.Cantalamessa, 22/4/07). 

Ce n’est plus le Pierre fanfaron d’avant la Passion qui avait dit : « Seigneur, je me dessaisirai de ma vie pour toi » (Jn 13,37), avant de le renier trois fois ; Mais on trouve ici un Pierre humble ; il est invité à ne pas s’appuyer sur lui-même, mais sur l’amour de Jésus qui le connaît ; Pierre ne se considère plus comme celui qui aime plus que les autres ; il se contente d’affirmer son amour personnel pour Jésus. Pierre est triste de voir que Jésus semble mettre en doute son amour et sa tendresse pour lui ; il ne lui reste qu’à s’en remettre plus que jamais à son Seigneur, à compter non sur ses propres forces, qui sont faibles mais sur la force de Jésus. Pierre doit se rappeler la Parole de Jésus au mont des Oliviers juste avant la Passion : « Quand tu seras revenu, affermis tes frères. » (Lc 22,32) : Il est maintenant prêt à affermir et à conduire ses frères vers le Ressuscité, puisqu’il accepte sa faiblesse : sa mission repose désormais sur la force du Christ. 

Le pardon du Christ lui rend sa dignité d’homme. Plus que cela encore, à l’image du Fils prodigue, Jésus lui redonne sa confiance et le remet aussi dans sa mission. 

« Si nous apprenions la leçon que renferme l’attitude du Christ envers Pierre, et faisions confiance à notre prochain, même s’il s’est trompé une fois, que de personnes en moins souffriraient d’échec dans leur vie et que de laissés-pour-compte en moins il y aurait sur terre ! » (R. Cantalamessa). 

Pierre reçoit de nouveau la mission de s’occuper du troupeau, de le guider, d’en prendre soin : « Sois le berger de mes brebis » : le troupeau est celui de Jésus pas celui de Pierre ; il veut nous éviter tout désir possessif (si votre curé dit « mes paroissiens », méfiez-vous !). Comme Jésus il est amené à paître le troupeau, jusqu’à se dessaisir de sa vie. Pierre en pleine communion d’amour avec Jésus ira comme lui jusqu’au bout de l’amour lui qui donnera sa vie à Rome. 

St Jean Chrysostome relit cet épisode du reniement de Pierre en disant : « Pierre a commis un péché, parce qu'un peuple nombreux allait lui être confié. Car il ne fallait pas qu'il soit incapable de pardonner à ses frères ». 

Pierre ne peut conduire le troupeau que parce qu'il aime passionnément le Christ. C'est ce que rappellent les trois demandes de Jésus. Seul un amour du Christ enraciné dans l'humilité et le pardon reçu permet d'être témoin de la miséricorde.  

Lorsque Jésus confie à Pierre cette mission d’être Pasteur à sa suite, il lui rappelle qu’aimer le Christ c’est servir ses frères. Notre amour pour le Christ trouve sa réalisation dans le service aux autres, dans le bien que nous faisons, dans le pardon que nous vivons à sa suite. 

Redisons au Seigneur notre désir de l’aimer : « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. » (Jn 21,17).


jeudi 20 mai

Chers frères et sœurs,  

La prière de Jésus s’élargit encore, parce qu’elle est vaste comme le monde. Tous les croyants de tous les temps et de tous les lieux sont présents dans le cœur du Christ et dans sa prière. 

« Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi » (Jn 17,20). 

Jésus attend de nous le témoignage de l’unité, puisque nous sommes assemblés par lui, unis à lui dans l’amour. Jésus avait déjà évoqué cette unité dans le texte où il dit qu’il est la Vigne : les sarments que nous sommes portent du fruit en étant unis à lui (Jn 15) ; il désire ardemment que nous ne soyons qu’un avec lui : « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17,21). Nous avons à devenir « parfaitement un », « moi en eux, et toi en moi » (verset 23), de cette même communion que vivent le Père et le Fils.  

On repense aussi au disciple « que Jésus aimait », autrement dit l’Evangéliste Jean lui-même, « penché sur la poitrine de Jésus » (Jn 13,23-25), manifestant ainsi son désir de communion avec le Christ. 

Ce rêve de l’unité trouvera son accomplissement dans le Christ : un seul peuple uni dans l’amour du Père et du Fils. Si Dieu est Un, nous avons à devenir un comme lui. Cette unité ne peut être que l’œuvre de Dieu. 

Nous savons bien que nos divisions entre chrétiens, nos querelles de clochers sont souvent des contre-témoignages. L’enjeu de cette unité vécue n’est rien moins qu’un signe donné de l’amour qui seul attirer les hommes au Christ : « Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé » (Jn 17,23). Ce n’est que dans le Christ que nous pouvons nous reconnaître frères. 

Le « voyez comme ils s’aiment » témoigne de l’amour du Père et du Fils. Le Fils est présent dans les croyants de tous les temps.  

Le grand désir de Jésus qu’il confie à son Père est de partager avec toute l’humanité l’amour de son Père, de leur donner la gloire de son Père : « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi » (Jn 17,24). Nous avons à (re)découvrir dans cette prière de Jésus que nous sommes le don que Dieu fait à son Fils ; Le Père nous donne à son Fils comme le cadeau le plus merveilleux… De quoi contempler l’amour du Père pour chacun de nous. 

Le dernier mot de sa prière est évidemment à l’amour partagé entre le Père et l'humanité : « Que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et que moi aussi, je sois en eux » (Jn 17,26). 

La prière du Christ est « eucharistique », parce qu’elle est action de grâces sans fin pour l’amour de son Père et de ses frères.  

L’amour du Christ enfante notre amour.


Mercredi 19 mai

Chers frères et sœurs,  

La prière de Jésus inclut toute l’humanité qu’il présente au Père, tous les hommes qui trouvent en lui la vie. C’est la « prière du Christ qui, dans une immense ascension entraîne avec lui l’humanité » (Père Jean La place). Toute prière est prière de Jésus en nous pour toute l’humanité. 

De nouveau Jésus nomme son Père : « Père saint » (Jn17,11) ; cela nous évoque la demande du Notre Père : « Que ton nom soit sanctifié ». Seul Jésus peut allier dans sa prière la grandeur de Dieu (sa sainteté infinie) et l’infinie tendresse de son cœur, avec ce mot si humain, si intime de Père, Abba. Jésus invite son Père à garder ses disciples à la place même qui est la sienne, au plus secret de son cœur de Père, puisqu’ils sont unis au Fils et portent eux aussi ce même nom de fils : « Père saint, garde-les unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes » (Jn 17,11). 

Jésus prie pour l’unité des hommes entre eux, à l’image de la communion entre son Père et lui : « Qu’ils soient un comme nous sommes un » dans la communion au même Esprit. 

« Quand j’étais avec eux, je les gardais unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné. J’ai veillé sur eux, et aucun ne s’est perdu » (Jn 17,12) : Jésus n’a pas cessé de veiller fidèlement sur les siens, il les a gardés inlassablement dans son amour ; nous nous rappelons que Jésus est le Bon Pasteur qui veille sur ses brebis, qui les garde des dangers et qui part à la recherche de la brebis perdue ; maintenant à quelques heures de la croix il confie les siens à Dieu.  

« Je viens vers toi » (verset 13) : il y a de la tendresse dans ces mots de Jésus alors qu’il sait son départ proche ; il veut partager avec ses disciples sa joie, la joie d’être aimé du Père, infiniment. « Qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés » (Jn 17,13). C’est sa Parole de vérité qui sera pour eux une source de joie et de liberté. 

Jésus laisse les siens dans le monde, confrontés au Mal ; mais ses disciples ne doivent pas abandonner ce monde, où ils sont envoyés : « De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde » (Jn 17,18) ; non seulement ils n’ont pas à fuir le monde, mais bien au contraire, ils ont à le conduire vers Dieu. 

Cela m’évoque la belle phrase de cette lettre écrite dans les premiers siècles : « Ce que l'âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde. L'âme est répandue dans tous les membres du corps, et pourtant elle n'est pas du corps, comme les chrétiens habitent dans le monde mais ne sont pas du monde… Si noble est le poste que Dieu leur a assigné, qu'il ne leur est pas permis de déserter » (Epître à Diognète, fin du II° siècle) 

Jésus implore son Père de les garder du Mal : « Je ne prie pas pour que tu les retires du monde, mais pour que tu les gardes du Mauvais » (Jn 17,15). Cela nous rappelle ce que nous demandons au Père dans la prière du « Notre Père » : « Délivre-nous du Mal » (Mt 6,13). 

L’incarnation de Jésus continue en chacun de ses disciples, puisque nous sommes envoyés par lui dans notre monde. 

Jésus prie pour que nous soyons saints comme son Père : vaste enjeu pour notre vie de tous les jours !


Mardi 18 mai

Chers frères et sœurs,  

Nous relisons ensemble la grande prière de Jésus à l’heure où il va donner sa vie pour les siens. C’est une prière solennelle.  

Les Evangiles parlent souvent de la prière de Jésus, en particulier l’Evangéliste Luc ; ainsi on voit Jésus se retirer dans la solitude pour se tourner vers son Père : sa prière est communion avec son Père, ressourcement dans son amour ; Remarquons cependant que nous avons peu de trace des mots de la prière de Jésus, à part l’action de grâces pour ce que son Père a révélé aux tout-petits (Mt 11,25), la prière du Notre Père et la prière à Gethsémani. Cette prière que rapporte Jean n’en n’est que plus précieuse. 

Elle a été nommée prière sacerdotale : elle est la prière « de notre Grand Prêtre, elle est inséparable de son Sacrifice, de son " passage " [pâque] vers le Père où il est " consacré " tout entier au Père » (catéchisme de l’Eglise catholique, n° 2747). Cette prière de Jésus n’est pas des plus facile à comprendre, en raison de son caractère répétitif. Nous allons essayer modestement d’en donner quelques éclairages. On dit parfois qu’elle est comme un commentaire du « Notre Père », parce que l’on y retrouve bien des intuitions de la prière que Jésus nous a donnée (le nom du Père, le règne, la délivrance du Mal…). 

Elle rappelle la fête juive de l’expiation, Yom Kippour, où le grand prêtre accomplissait l’expiation pour toute la communauté du peuple de Dieu. 

Jésus s’adresse à son Père au moment où il va offrir sa vie. Il prie pour lui-même et pour les apôtres, pour l’Eglise de tous les temps. Nous sommes plongés dans la prière de Jésus. 

Jésus lève les yeux et se tourne vers son Père pour une grande action de grâces : « Père » ; par six fois ce mot simple reviendra dans la bouche de Jésus, rythmant sa prière : « Père, l’heure est venue. Glorifie ton Fils afin que le Fils te glorifie » (Jn 17,1). Jésus est le don du Père. Jésus s’apprête à entrer en totale disponibilité dans la volonté de son Père à l’heure de la Passion ; il se remet entre les mains de son Père, totalement. « L’heure », dans la bouche de Jésus, est le moment de la Passion, mais aussi de sa gloire. Quand Jésus demande à être glorifié, il demande à entrer totalement dans le désir de son Père : « Moi, je t’ai glorifié sur la terre en accomplissant l’œuvre que tu m’avais donnée à faire » (Jn 17,4). C’est sur la croix que la gloire du Christ sera manifestée aux yeux de tous. Son amour est sa gloire véritable. 

Jésus ne cesse pas de rendre grâce pour les dons du Père (17 fois le verbe donner dans cette prière) ; il nous rappelle que nous sommes pour lui les dons que le Père lui a faits : « ceux que tu m’as donnés » ; nous sommes un cadeau de Dieu donné par le Père au Fils ! Jésus trouve sa gloire en nous, même faibles et fragiles, ne l’oublions jamais : « Tout ce qui est à moi est à toi, et ce qui est à toi est à moi ; et je suis glorifié en eux » (Jn 17,10). 

Jésus confie ses disciples au Père : « J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont gardé ta parole » (Jn 17,6). C’est en prenant notre chair que Jésus a manifesté « le nom du Père » aux hommes : il est Dieu avec nous ; il nous rend Dieu proche de notre humanité. Le pouvoir du Père sur toute l’humanité a été confiée au Christ et ensuite aux disciples : « Tu lui as donné pouvoir sur tout être de chair » (Jn 17,2). La vie éternelle est le bien commun au Père, au Fils et aux croyants.


Lundi 17 mai

Chers frères et sœurs,  

« Le Père lui-même vous chérit » (Jn 16,27) : Après que Jésus a réconforté ses disciples en leur parlant de l’amour du Père, les disciples sont comme revigorés : « Votre joie, personne ne vous l’enlèvera » (Jn 16,22). : enfin, ils comprennent ce que Jésus veut leur dire !  

Jésus ne leur semble plus parler en « paroles mystérieuses » ; Tout leur semble désormais lumineux, plus besoin de « décodeur » pour comprendre ses paroles : « Voici que tu parles ouvertement et non plus en images. Maintenant nous savons que tu sais toutes choses, et tu n’as pas besoin qu’on t’interroge ; voilà pourquoi nous croyons que tu es sorti de Dieu » (Jn 16,29-30). Les disciples confessent ainsi leur foi en Jésus de façon « collective ». Jésus doit être réconforté par cet élan de foi. 

Mais pour autant Jésus n’est pas dupe devant leur enthousiasme : « Maintenant vous croyez ! Voici que l’heure vient – déjà elle est venue – où vous serez dispersés chacun de son côté, et vous me laisserez seul » (Jn 16, 31-32). Il sait que ses disciples auront bien du mal à ne pas l’abandonner, pris par la peur face à la Passion et aux menaces. Ils ne résisteront pas devant l’énigme du Fils de Dieu souffrant et mourant, injustement condamné sur la croix. 

Mais Jésus garde confiance, car même abandonné de tous, il n’est jamais seul : « Je ne suis pas seul, puisque le Père est avec moi » (verset 32). Jésus, qui va être livré aux mains des hommes, puise dans l’intimité avec son Père la force de vivre sa Passion. Il est sûr de l’amour de son Père. C’est toute l’expérience de sa vie. C’est là que Jésus trouve la paix et la force pour avancer vers la croix. En Jésus son Fils, le Père mystérieusement souffre aussi la Passion. Mystère abyssal… 

Face à l’adversité et aux souffrances, les disciples peuvent eux aussi demeurer dans la paix que Jésus donne aux siens, dans la paix de la foi : « Je vous ai parlé ainsi, afin qu’en moi vous ayez la paix » (Jn 16,33) ; avec la confiance chevillée au cœur que Jésus est vainqueur du Mal : « Courage ! Moi, je suis vainqueur du monde. » (idem). La victoire sur le Mal est déjà assurée, avant même la croix.  

« Courage » est le dernier mot de Jésus avant la prière qu’il adresse à son Père. Nous verrons cela demain !