TEMOIGNAGE DU PERE AUGUSTIN, MOINE DE L’ABBAYE DE NOVY-DUR

Les dernières paroles de Père Thomas que j’ai bien comprises – c’était une semaine avant sa mort – sortaient de son cœur bien plus que de sa bouche. Lentement et jusqu’à trois fois, il murmura : « je remercie Dieu pour les grâces, nombreuses, qu’il m’a faites ! » Pour moi, à ce moment-là, c’était clair que Père Thomas était prêt à partir et qu’il se dirigeait vers Quelqu’un, une Personne, Dieu, pour toujours.
 

Le meilleur témoignage qu’on pourrait rendre à un ami cher, ne serait-ce pas de reconnaître les grâces divines qu’il a reçues et d’exulter avec lui pour ces dons d’amour de notre Dieu ? Qui pourrait se charger d’une telle entreprise ? Chacun d’entre nous sans doute. Je voudrais donc témoigner en particulier de quatre grâces – si toutefois il convient de les compter de la sorte – dont a bénéficié Père Thomas.

 La grâce de la vocation sacerdotale.

J’ai connu l’abbé Thomas Bicaba trois mois après son ordination sacerdotale. Il était vicaire à la paroisse cathédrale de Dédougou. Je venais d’arriver comme coopérant à la paroisse des Pères Blancs à Bomborokuy pour deux ans. Thomas achevait une longue formation pour devenir prêtre puisqu’on le recevait déjà comme petit séminariste à l’âge de 13 ans. Marchait-il sur les traces de son parent, l’abbé Jo, Joseph Bicaba, de la première génération des prêtres burkinabé, deuxième prêtre africain de son diocèse (après Mgr Zéphirin Toé, premier prêtre et premier évêque originaire du pays) ?

Sa vocation sacerdotale, Thomas la doit d’abord à Notre Seigneur. Je crois qu’il la doit aussi à la prière de cet oncle, l’abbé Jo, dit Tonton – tout comme il nous sera révélée à tous, au Ciel, la prière d’un père, d’une mère, d’une tante, d’une grand-mère, d’un ami, qui a devancé nos pas. Après la mort de l’abbé Jo, Thomas disait de lui : « Il a été un homme qui a beaucoup lutté pour la fraternité sacerdotale, pour la fidélité aux célébrations quotidiennes de l’Eucharistie et la liturgie des Heures. Hommes de vérité qui ne contourne pas pour dire ce qu’il pense, un pasteur pour tous sans distinction, un animateur, homme joyeux... Qu’il repose en paix. » Qu’il en soit ainsi aujourd’hui de notre cher Père Thomas.

 La grâce de la vie intérieure.

C’est une grâce particulière de la rencontre avec le Seigneur, providentielle dans sa vie, a-t-il dit lui-même. Une rencontre appelée désormais à être entretenue, approfondie, comme l’exige d’ailleurs toute relation entre deux personnes, deux amis, entre la Personne de Jésus et moi. Père Thomas est resté très attaché à notre monastère trappiste et est devenu un ami proche des frères.

 Ce qui nous liait avant tout – chacun de son côté, lui, comme professeur au Grand Séminaire ou comme prêtre en paroisse, et moi, au monastère, c’était la pratique régulière de l’Office divin, la prière commune de l’Eglise, de la lectio divina et de la prière personnelle. Ici ou là, il aurait même voulu aussi se réserver du temps pour le travail manuel.
 

Toujours fidèle à sa mission apostolique de pasteur des âmes aussi bien en Afrique qu’en France, il m’a écrit un jour :

« J’ai compris davantage que la mission devient très féconde lorsqu’on reste uni au Christ et que le rayonnement missionnaire dépasse l’espace et le temps. En vivant dans un espace limité, on peut atteindre tous les hommes. » 

La grâce du martyre.

Je préfère garder le silence comme j’ai quelquefois gardé le silence auprès de Thomas alité, alors qu’il peinait seulement à ouvrir les yeux pour me regarder. Je cite ce qu’il a écrit dans sa thèse de doctorat en 2003 sur sainte Thérèse de l’Enfant Jésus : « La Sainte s’est appropriée une interprétation très personnelle du martyre qui invite moins à considérer l’aspect spectaculaire, extérieur, mais davantage celui intérieur, le témoignage et le don de soi en sacrifice, en offrande à l’amour et à la collaboration pour le Règne de Dieu... Cette conception n’est pas fausse car si aujourd’hui les persécutions, les circonstances et les conditions du témoignage de la foi ne sont plus les mêmes, le fondement doctrinal demeure toujours actuel.

 Dans le martyre à travers le corps, la misère, la maladie, la souffrance, toute condition très difficile d’expression de la foi, le chrétien persévérant jusqu’au bout par amour pour Jésus peut vivre un véritable martyre. En effet, le martyre du coeur n’est pas moins fécond que l’effusion du sang. »
 

Enfin, la grâce du sacrement des malades.

Deux amis se donnent ce qu’ils ont de meilleur, de plus précieux. Ils étaient deux amis prêtres, l’un diocésain et l’autre moine. Quelle joie pour ce dernier d’avoir été par son ministère la cause pour le premier d’un don inestimable de communion avec Jésus pour la vie éternelle !

Père Thomas Bicaba, avec tes amis, je te dis : Fo ! Bari’a !

 

TEMOIGNAGE DU PERE BOULLE (curé de Sainte-Marguerite et doyen)

 L’Evangile intérieur... C’est le titre d’un livre de Maurice Zundel dont je voudrai vous citer ce soir quelques courts extraits.
 L’Evangile intérieur : il me semble que ce pourrait être le titre de la vie du Père Thomas, du livre de sa vie écrit en caractères lisibles pour l’éternité.
 « Les hommes qui disent quelque chose ne sont pas très nombreux : ceux qui écoutent sont encore plus rares. C’est cependant par là qu’il faut commencer.   

Homme de contemplation, le Père Thomas était homme d’écoute. Ses paroles étaient rares. Elles naissaient du silence qui l’habitait. Elles ne s’abattaient pas du dehors mais venaient de l’intérieur.  

« Toute parole est vaine qui n’est pas redite au dedans, avec le consentement de l’Amour. »

 Sa délicatesse était faite de sensibilité, de douceur et de réserve. Elle était une invitation pour celui qu’il rencontrait à se rendre disponible, pour saisir en profondeur ce qu’il était, pour le comprendre du dedans.
 
L’esprit ne veut pas être contraint : l’âme ne se livre qu’à l’âme.» 

Son silence était habité par l’éternelle Parole par qui tout a été fait et qui est devenue le Verbe silencieux.

 Car « l’Evangile suppose, pour être entendu, ce contexte de silence, qui le rend intérieur à l’esprit. C’est à cette condition seulement que la Voix divine est reconnue et que l’âme, au plus intime d’elle-même, découvre ce qu’elle cherchait.»
 

Dans le silence où le Verbe parle, l’Eglise a sa source et « c’est par là que tout est sauvé. »

 Un de ses fils et humble serviteur nous le rappelle ce soir pour que l’Evangile nous devienne intérieur et rejoigne notre bruit et notre agitation. 

 
« Mais le silence de Dieu a recouvert tout ce bruit, et dans l’attente éternelle du Visage aux yeux baissés, les hommes ont reconnu leur Sauveur. C’est là, en effet, le signe le plus convaincant au regard d’une âme croyante, le signe qui se révèle par sa propre lumière. »

TEMOIGNAGE DES SŒURS SERVANTES DU SACRE-CŒUR

Nous ne connaissions pas le Père Thomas avant qu'il n'arrive à la communauté pour un suivi médical de repos afin de déjouer l'emprise de la maladie.

Au fil des jours nous avons découvert une personne calme, discrète, réservée, accueillant avec le sourire et d'une grande écoute.

Son attitude profonde était de penser à l'autre, de ne pas le blesser mais de lui faire confiance et, ce faisant, il engendrait une confiance réciproque. Il ne voulait pas déranger, peser sur l'entourage aussi fallait-il deviner la douleur qui le tenaillait.

Dans ces moments de grande souffrance physique nous ne l'avons pas entendu se plaindre mais nous le découvrions alors dans une grande concentration intérieure, un recueillement profond … sans doute un silence de prière.

Homme de Foi et d'Espérance, le Père Thomas aimait le silence, la contemplation du beau comme en témoignent les objets trouvés à son chevet… Engagé dans le sacerdoce, le Père Thomas était un pasteur à l'écoute de ses brebis et qui les nourrit par la qualité spirituelle de sa prédication - fidèle à la célébration Eucharistique quotidienne au prix d'effort énorme les derniers jours.

« Bon et fidèle serviteur, entre dans la Lumière et la Joie de Ton Maître »

TEMOIGNAGE D'HENRY AILHAUD
 
Cher père Thomas,

Merci d’avoir accepté de venir en mission à Sainte-Pauline.

Nous avons bien ressenti combien cela avait dû être difficile au plan vie quotidienne pour toi pendant la première année, mais cela ne t’a pas empêché d’être le pasteur qui guide ceux qui lui sont confiés. C’est pendant cette première année que j’ai redécouvert le culte marial, la force de l’adoration en paroisse, et que j’ai été touché par tout ce que ta profonde intériorité avait de contagieux.

Comme tous les paroissiens, j’ai été très ému par la façon dont tu es allé au bout de tes forces, la veille des 100 ans de notre paroisse pour lesquels tu t’étais enthousiasmé. C’est donc à la clinique que tu as vécu l’évènement, guidant dans le cheminement du Rosaire les paroissiens troublés, pour les réconforter et les rétablir dans la paix.

Début janvier, face à l’annulation dramatique de la venue de ta famille, ta douceur, ton humilité, ton acceptation des évènements ont fait qu’il n’était pas possible de ne pas tout faire pour que deux de tes sœurs, Catherine et Pauline, viennent te voir le plus tôt possible.

Quel bonheur pour tous les paroissiens de vous voir réunis, de pouvoir vous recevoir, de sentir chez soi un peu de cet air du Burkina.

Et plus tard, comme tu as été heureux de participer activement au pèlerinage de Lourdes avec ta paroisse et ton évêque ; Il faut dire que les organisateurs ont tellement pris soin de toi.

Nous avons tous été très heureux que cet été, tu puisses passer un mois entier dans ton pays, sans devoir aller une seule fois à l’hôpital ou voir un médecin. Tu y as retrouvé tes amis prêtres, tes parents au village, tes frères et sœurs, … tu as toujours tellement pris très à cœur ton rôle de frère aîné

Et tu es revenu … et je crois qu’à ce moment tu étais encore confiant en la stabilisation de ta maladie … tu faisais des projets de retour au pays pour Noël.

Quels moments privilégiés quand je pouvais participer aux Eucharisties que tu célébrais tous les jours à 11h dans l’oratoire près de ta chambre, chez les Sœurs Servantes du Sacré Cœur de Jésus, particulièrement le dimanche, en communion avec Sainte Pauline.

Comme elles prenaient bien soin de toi, combien elles ont été dévouées, toutes ces sœurs.

Tu ne te plaignais jamais ; quand tu disais « ça va mieux », il fallait comprendre j’ai encore mal.  

 

Nous en avons passé, depuis février, des moments de bonheur où le Pasteur s’est doublé d’un ami, d’un frère dans le Christ, avec qui il faisait bon d’échanger sur nos familles, nos joies et préoccupations, sur les mystères de la vie ou notre foi.

Dans un jardin, la nature t’enthousiasmait ; dans la visite d’un palais, la grandeur de l’homme et de ce qu’il pouvait concevoir et réaliser t’enthousiasmait tout autant.

Quelle discrétion, quelle modestie ! Tu te retirais comme si tu voulais laisser à l’autre tout l’espace pour qu’il puisse donner sa mesure ; alors seulement tu manifestais ta présence, toujours avec bienveillance, dans une révélation progressive. C’est au bout de plusieurs mois que tu nous as parlé de ta formation, de tes diplômes, de tes étudiants … Quel étonnement quand un jour, après avoir réfléchi 30 secondes, tu as donné à une étudiante en mastère de philo le plan complet d’un devoir qu’elle avait à rédiger.

Jamais je ne t’ai vu chercher à prendre l’ascendant sur quiconque. Tu ne parlais de tes goûts que lorsque tu savais trouver un écho chez l’autre. Ainsi, tu ne m’as parlé de ta passion enfantine (et persistante vu tes éclats de rire !), pour Tintin, ou Don Camillo, que lorsque tu as su que j’y prenais moi aussi du plaisir. Du scrabble et des échecs, nous en avons parlé en premier, pour découvrir face à nous un joueur de première force.

 Quand la maladie s’est accélérée, tes douleurs sont devenues insupportables et tu as dû quitter les sœurs de Versailles ;  tu as passé environ un mois dans les établissements hospitaliers.

Tu ne t’es jamais plaint.  Catherine et Charles, arrivés du Burkina Faso, ont passé deux semaines à tes côtés, t’ont veillé la nuit. Tes frères prêtres de France et du Burkina sont tous venus te voir, parfois de loin, de très loin.

Que tu étais heureux, rayonnant même, pendant les moments de prière autour de la communion. Tant que tu l’as pu, quand nous te quittions, tu faisais un geste pour nous bénir, et à travers nous, la communauté de tes paroissiens.

C’est toujours avec la même convivialité que tu as accueilli les visiteurs, faisant un effort pour honorer chacun par une écoute attentive  … Et Dieu sait si cela t’a coûté par moments !

 

Alors, lorsque tu as senti la fin approcher, tu « t’es retiré », pour être seul face à ton Dieu, et entrer en dialogue avec Lui pour élargir ton cœur aux dimensions de son Amour démesuré.

C’est ainsi que tu es parti, « livré à l’Amour », le visage serein.