Les saintes femmes au tombeau, fra Angelico, XV° siècle

Dimanche de Pâques 4 avril

 

 

Chers frères et sœurs,  

Accueillir l’imprévu, nous sommes habitués depuis un an… C’est ce qui arrive aux trois Marie lorsqu’elles se rendent au tombeau pour honorer la dépouille de Jésus.  

Ces femmes « suivaient Jésus et le servaient dès la Galilée » (Mc 15,40) ; elles étaient déjà présentes au pied de la croix et lors de son ensevelissement. La mort de Jésus a rempli leur cœur de ténèbres. Elles vont faire un chemin intérieur : de l’accueil de la mort de Jésus qu’elles ont aimé et suivi, jusqu’à la découverte de l’impossible, de l’impensable, la résurrection. 

Il fait encore nuit dans leur cœur. Le jour commence à se lever lorsqu’elles arrivent au tombeau : nous revivons (pour les matinaux) ce matin de Pâques, avec ce contraste, ce passage des ténèbres de la mort à la lumière éblouissante de la résurrection : « de grand matin », « comme le soleil se lève » … C’est un commencement, une nouveauté à accueillir. C’est l’aube d’une création nouvelle. 

Elles vont de surprise en surprise : en arrivant elles n’imaginent pas un instant ce qu’elles vont découvrir… Elles ont le cœur ailleurs, rempli de tristesse, mais aussi de vénération puisqu’elles viennent embaumer le corps de celui qui les a touchés au cœur. Elles ne sont pas du tout préparées à la résurrection… 

On ne sait pas comment elles pensaient rouler la lourde pierre du tombeau ; lorsqu’elles arrivent, celle-ci est enlevée, le tombeau est ouvert. C’est forcément l’action divine. Un jeune homme lumineux, « vêtu d’une robe blanche » les y accueille. L’apparition est totalement imprévisible. L’effet de surprise est total ; elles sont effrayées. Est-ce Jésus lui-même, méconnaissable après la résurrection, comme en d’autres apparitions ? Est-ce un ange ? Est-ce le disciple modèle ? Un indice dans l’Evangile de Marc pourrait le laisser penser : en effet, au moment de l’arrestation de Jésus, « un jeune homme suivait Jésus ; il n’avait pour tout vêtement qu’un drap. On essaya de l’arrêter. Mais lui, lâchant le drap, s’enfuit tout nu » (Mc 14,51-52). Celui-ci d’abord dévêtu, est revêtu d’un vêtement blanc, le vêtement du baptisé, après la résurrection. Le baptisé participe à la mort et à la résurrection de Jésus, il abandonne son vieux vêtement pour revêtir celui du Christ ; il laisse l'homme ancien pour accueillir l'homme nouveau. De plus ce jeune homme est assis à la droite, signe du lien avec le Christ. 

« Ne soyez pas effrayées ! Vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ? Il est ressuscité : il n’est pas ici… Et maintenant, allez dire à ses disciples et à Pierre : “Il vous précède en Galilée » (Mc 16,6-7). 

Le premier mot de celui-ci est pour rassurer, comme dans toutes les manifestations divines : « N’ayez pas peur ! ». Le jeune homme aide ensuite les femmes à comprendre ce qui leur arrive : « le crucifié » qu’elles venaient honorer est « ressuscité » et donc il est Vivant … L’inattendu est proclamé. Elles trouvent ce qu’elles ne cherchaient pas. Quelle surprise pour elles qui ne s’y attendaient vraiment pas !  

Et elles sont envoyées en mission auprès des disciples pour proclamer qu’il les précède en Galilée. Elles deviennent messagères d’une nouvelle qui les dépasse. Un printemps lumineux de la foi se fait jour après les jours de larme et de deuil, dans la lumière du tombeau ouvert. 

La Galilée est le lieu où tout a commencé avec le Christ ; Jésus y retrouve les siens : c'est sur les bords du lac de Galilée que l'aventure de la foi a commencé dans la joie pour les douze ; là Jésus a multiplié les pains, il a donné les Béatitudes et transmis l'amour de son Père, il a apaisé la tempête, là il a guéri et pardonné... 

Les disciples sont renvoyés à leur quotidien ; mais il est désormais habité de la présence nouvelle et cachée du Ressuscité qui les précèdera toujours partout où ils seront et iront. Jésus ressuscité ne s'éloigne en rien de notre vie. Nous sommes invités à retrouver le ressuscité dans les Galilée de nos vies, dans notre quotidien. Il nous y précède, il nous y rejoint.  

Quelle joie de savoir le Christ présent à nos côtés à chaque instant de notre vie ! Que cette joie nous pousse à l’annoncer à nos frères ! 

Christ est ressuscité… il est vraiment ressuscité ! Joyeuses fêtes de Pâques !


Samedi 3 avril

 

Chers frères et sœurs,  

Comment vivre le samedi Saint ? C'est un jour exceptionnel dans l’année liturgique ; justement parce qu’il est un jour sans liturgie, sauf la liturgie des heures. Il n’y a donc pas à proprement parler de « Parole de Dieu » proposé pour ce jour. 

C’est un jour de recueillement, de deuil : le Christ repose au tombeau en attente de la Résurrection. C’est aussi un jour de préparation à la grande fête de la vigile pascale. 

« Que se passe-t-il ? Aujourd'hui, grand silence sur la terre ; grand silence et ensuite solitude parce que le Roi sommeille... Parce que Dieu s'est endormi dans la chair et il a éveillé ceux qui dorment depuis les origines. » (Epiphane de Salamine, IV° siècle). 

L’Eglise vit donc une journée de silence, communion avec le Seigneur qui est dans le repos du tombeau. C’est un repos passager, de passage entre la condition humaine mortelle et la gloire divine. Auprès du Seigneur, qui repose en terre, les chrétiens sont invités à veiller et à prier. 

Le texte proposé pour l’office des lectures éclaire le sens de ce jour : « Comme l’Écriture le dit à propos du septième jour : Et Dieu se reposa le septième jour de tout son travail…Car Celui qui est entré dans son repos s’est reposé lui aussi de son travail, comme Dieu s’est reposé du sien… Empressons-nous donc d’entrer dans ce repos-là » (He 4,4-11). Le "repos de Dieu" est participation au bonheur de Dieu qui se repose le 7° jour. Les baptisés sont invités à entrer dans ce repos en accomplissant le désir de Dieu qui est source d’une paix profonde. 

Les chrétiens d’Orient font mémoire en ce jour de la descente du Christ aux enfers. Dans le credo, nous proclamons : « Il est descendu aux enfers ». Jésus va chercher aux enfers Adam et Eve ; ce lieu n’est pas ce qu’on appelle l’enfer qui est lieu de séparation d’avec Dieu ; les enfers désignent le lieu du sommeil et donc du repos des morts (le « shéol »).   

Les icônes orthodoxes représentent souvent ce mystère de la descente aux enfers : le Christ ressuscité piétine les portes fracassées du séjour des morts, et va prendre par la main Adam et Eve pour les réveiller d’entre les morts et les emmener avec lui au Royaume des cieux : En nos profondeurs humaines qui ne sont pas prêtes à l'accueillir, le Christ ressuscité vient aussi apporter la vie. 

Le Christ descend dans les profondeurs de la mort, comme les baptisés descendent le jour de Pâques, au moins symboliquement, dans les eaux du baptême. 

Recueillons-nous, en ce jour, en l’amour du Christ, reposons-nous en lui avec confiance ; il vient le jour de la Résurrection, il est tout proche. Ne le sentez-vous pas arriver ? Christ vient renouveler toutes choses ! 


Vendredi 2 avril

 

Chers frères et sœurs,  

Nous méditons en ce jour la Passion de l’Evangéliste Jean. C’est un texte grave, habité, contemplatif, mais aussi réaliste et rude (la gifle, les humiliations, la couronne d’épines...). Tout cela est comme transfiguré dans la lumière incandescente de l’amour total et du pardon sans condition. 

Jésus y est montré dans sa gloire, mais une gloire totalement paradoxale, parce qu’elle est une gloire humiliée. Ce n’est pas la gloire au sens très humain habituel, qui va avec les honneurs, avec le succès, la célébrité. Non ! la gloire de Jésus va avec les insultes, les coups, l’extrême de la violence subie… 

Jésus s’est avancé librement vers cette humiliation qu’il savait inévitable ; inévitable parce que son amour n’était pas compris comme celui de son Père : il n’a pas hésité un instant ; le pape François (homélie des Rameaux 2021) dit que l’a Christ l’a fait « pour nous, pour toucher jusqu’au fond notre réalité humaine, pour traverser toute notre existence, tout notre mal ».  

Jésus s’y révèle en se cachant : il apparaît dans son humanité vulnérable, mais entièrement donnée aux hommes : Jésus est vraiment l’homme accompli, l’homme image parfaite du Père, dans le don de lui-même : « Voici l’homme », dit Pilate dans une parole à portée prophétique (Jn 19,5) ; Jean nous montre aussi le Christ dans sa royauté bafouée. Jésus est couronné d’épines, revêtu de pourpre, giflé, moqué ; il est salué comme un roi de dérision. L’humiliation que subit Jésus accomplit le salut, Jésus est le Serviteur souffrant annoncé par Dieu en Isaïe : « Voici votre Roi », dit Pilate sans comprendre la portée de ce qu’il dit (Jn 19,15) ; mais aussi Jean contemple en Jésus sur la croix celui qui se montre vraiment Fils de Dieu : « Elevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » (Jn 12,32) ; St Jean contemple le Christ dans son humiliation comme le signe inimaginable de la puissance du Fils de Dieu. Il domine non par la puissance, mais dans la faiblesse, il attire comme un aimant à l’amour sans limite ; le récit de la Passion nous parle de « Dieu pour nous » : Nous voyons l’infini de l’amour de Dieu, et jusqu’où il nous aime en son Fils crucifié. 

Son courage à la fois éprouvé et serein prend appui sur l’amour du Père auquel il s’abandonne en toute confiance ; au contraire de Pierre, qui lui s’appuie sur ses propres forces et ne tient pas face à la menace, parce qu’il redoute d’être considéré comme complice de Jésus. Les proches de Jésus se dérobent ; sauf Jean et Marie, fidèles, présents jusqu’au bout : la mère de Jésus est confiée aux siens ; c’est la naissance de l’Eglise au pied de la croix. 

Une des dernières paroles de Jésus sur la croix que rapporte Jean est une parole qui exprime tout son amour : « J’ai soif » (Jn 19,28). Jésus a soif de nous libérer ; il a soif de notre réponse, de notre amour. C’est pour cela qu’il a pris librement le chemin de la croix. 

En ce vendredi Saint confions nos proches dans leurs épreuves, notre monde en souffrance : « Pour la deuxième fois, nous vivons dans le contexte de la pandémie. L'année dernière, nous avons été plus choqués, cette année, nous sommes plus éprouvés. Et la crise économique est devenue lourde. Dans cette situation historique et sociale, que fait Dieu ? Il prend la croix. Jésus prend la croix, c'est-à-dire prend en charge le mal que cette réalité entraîne, mal physique, psychologique et surtout spirituel » (Pape François Angélus 28/3/2021).

Pour ceux qui le souhaitent, nous pouvons compléter les offices, chemin de croix et la lecture de la Passion selon St Jean par l'écoute de la magnifique Passion selon st Jean de Bach.

 

Jeudi 1er avril

 

Chers frères et sœurs,  

Dans les Evangiles, les repas de Jésus tiennent une grande place. Jésus partage les repas de tous, sans distinction, pharisiens comme publicains et pécheurs, cela lui sera souvent reproché ! De Cana aux repas avec ses amis de Béthanie, en passant par le repas chez Matthieu le publicain… Et combien de repas au bord du lac avec ses disciples ! 

Mais aussi Jésus prend soin de la foule, il se soucie des besoins humains, lorsqu’à la fin du jour il voit les foules affamées. Les multiplications des pains viennent annoncer le repas pascal. La disproportion est évidente entre ce que les apôtres apportent pour manger et l’immensité de la foule : cinq pains, deux poissons pour 5000 hommes (Jn 6,1-14). Du trop peu que donne un enfant, Jésus va faire ce qui semble impossible à vue humaine. Il fait une surabondance inimaginable. A travers la petitesse des moyens éclate la puissance de Dieu. Tout cela exprime l’insuffisance humaine que Dieu vient combler. 

Et puis il y a ce repas solennel de la fête de Pâques, en mémoire de la libération de l’esclavage en Egypte, que Jésus ne manque pas de prendre avec les siens. Jésus avant de donner sa vie, veut manger la Pâque avec ses disciples pour la dernière fois. Le lavement des pieds en donne tout le sens : le service jusqu’à offrir sa vie. « J’ai ardemment désiré manger cette pâque avec vous » (Lc 22,15). C’est un moment de communion solennel avec les siens. 

Le récit de la Cène rapporte les paroles et les gestes par lesquels Jésus s’est donné lui-même. 

« Le corps qu’il donne à manger aux siens, il le leur a livré chaque jour passé avec eux ; son travail, sa peine, ses forces, toutes les ressources de son esprit et de son cœur, il les a constamment mises à notre service » (J.Guillet, Jésus-Christ hier et aujourd’hui p.192). Jésus ne se donne plus seulement à travers ses paroles, ses gestes, ces regards, sa présence, son attention à chacun… il se rend présent tout entier ; il se livre tout entier. La Cène annonce ce qui s’accomplit sur la croix : « Ceci est mon corps donné pour vous » (Lc 22,19).  

Après la résurrection, Jésus continuera à se manifester aux siens, en partageant avec eux des repas qui le feront reconnaître comme le Ressuscité : c’est le repas à Emmaüs : « Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent » (Lc 24,30).  

Ce sont aussi les poissons grillés sur le feu. Jésus prépare un repas pour ses disciples sur un feu de braise au bord du lac (Jn 21,1-14). Jésus est là familier, comme le plus simple des hommes : « Venez déjeuner ». « Les disciples aperçoivent, disposé là, un feu de braise avec du poisson posé dessus, et du pain. Jésus leur dit "Apportez donc de ces poissons que vous venez de prendre" ». Jésus se fait spécialiste du barbecue pour ses amis !  

Vous savez sans doute que le poisson est devenu le symbole de la foi en Jésus dans les premiers siècles ; le poisson était un signe de reconnaissance pour les chrétiens (on retrouve cela aujourd’hui à l’arrière des voitures) ; de nombreuses représentations iconographiques en témoignent : En grec le mot qui désigne le poisson (Ictus), permet de cacher la foi en Jésus Sauveur : ICTUS : signifie, du grec : Jésus-Christ (I.C) fils de Dieu (T.U) sauveur (S). 

D’ailleurs dans les premiers siècles va s’élever une querelle liturgique pour savoir s’il fallait remplacer le pain eucharistique par le poisson christique. Vous vous imaginez s’il avait fallu remplacer le pain par du poisson sur l’autel ! Heureusement le bon sens prévaut toujours (Voir ci-dessous). 

 

Cette image de la Cène avec des poissons n'est pas truquée !

Vous vous demandez sans doute : « Où le Père Maroteaux va-t-il pêcher tout cela ? ». 

Par une facétie du calendrier liturgique, le jeudi Saint est un… 1° avril. Etant parfois moi-aussi facétieux, il m’était difficile de résister à un petit poisson d’avril ! 

Tout ce que je vous ai dit est sérieux, sauf… le dernier paragraphe, évoquant une querelle liturgique qui n’a jamais existé, pour remplacer le pain eucharistique par le poisson christique. C’est de ma pure invention, évidemment. Vous me pardonnerez, il y avait « anguille sous roche » ! 

Bon jeudi Saint dans la joie du repas pascal !

 

Mercredi 31 mars

 

Chers frères et sœurs,  

Le troisième chant du Serviteur de Dieu se fait de plus en plus dramatique. L’Evangile aussi, au fur et à mesure qu’approche la mort de l’unique Serviteur, le Christ. 

Le Serviteur fidèle fait face au peuple infidèle ; il évoque lui-même la souffrance qu’engendre cette fidélité à Dieu. Il possède « une langue de disciple », curieuse expression qui exprime son désir d’écouter la volonté de Dieu ; la Parole de Dieu irrigue sa vie et travaille son cœur chaque jour. Et parce qu’il se met à l’écoute, il peut transmettre ce qu’il a reçu du Seigneur : il donne aux hommes la parole de consolation qui lui vient du Seigneur, il réconforte ceux qui se sentent abandonnés par Dieu : « D’une parole, je peux soutenir celui qui est épuisé » (Is 50,4). 

Cette écoute de la Parole est vécue au cœur de la persécution ; il est au cœur d’un combat, dans lequel il persévère malgré les outrages qui l’accablent : « Je ne me suis pas dérobé. J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe. Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats » (Is 50,5-6). Comment ne pas relire ce texte avec à l’esprit ce que Jésus a subi pendant sa Passion ? « Ils crachèrent au visage de Jésus et le giflèrent ; d’autres le rouèrent de coups » (Mt 26,67). C’est le Christ qui vient accomplir cette figure du Serviteur dans sa Passion. 

« Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu » (Is 50,6-7). Il ne se plaint pas, ni ne se dérobe à sa mission et reste courageux : ce que signifie l’expression de la « face dure comme pierre ».  Il persévère dans le bien même au cœur de la tourmente. On pense à l’attitude de Jésus qui avec courage se dirige en pleine liberté vers le don de sa vie, en marchant avec détermination vers la ville sainte où la mort l’attend : « Jésus affermit sa face pour aller à Jérusalem » (Lc 9,51) ; Jésus est abandonné entre les mains de son Père. On retrouve ce calme du Serviteur dans l’Evangile des préparatifs du repas pascal : Jésus ne se laisse pas submerger par la perspective qu’ouvre ce repas où il va se livrer librement par amour : « Prenez ceci est mon corps livré pour vous » (Lc 22,19). Le Christ ne subit pas les événements, il en est le Maître. 

Le Serviteur reste dans un abandon confiant : il sait que Dieu  viendra toujours à son secours parce qu’il s’est confié en son amour : « Voilà le Seigneur mon Dieu, il prend ma défense ; qui donc me condamnera ? » (Is 50,9). Paul méditera sur cette conviction de l’amour infini de Dieu, lui qui sait ce que c’est d’être gracié : « Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? La détresse ? L’angoisse ? La persécution ? La faim ? Le dénuement ? Le danger ? Le glaive ?... Mais, en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés… Rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 8,35-39). 

Nous pouvons faire nôtre ces paroles de confiance en ce mercredi saint, en demandant la confiance pour nos frères et sœurs souffrants. 

 

 

Mardi 30

 

Chers frères et sœurs,  

Nous retrouvons le mystérieux Serviteur de Dieu qui commence à nous devenir familier ! Nous abordons le deuxième chant du Serviteur, qui annonce l’inouï de Dieu (au sens premier de ce mot, ce qu’on n’avait pas encore entendu). 

Ce Serviteur se présente lui-même et parle de sa mission qui lui est confiée par le Seigneur. 

Il est choisi par Dieu dès le sein maternel pour accomplir sa volonté de salut. Il s’agit d’un appel de type prophétique. 

Ainsi Jérémie est appelé par Dieu en des termes proches de ceux qu’utilise le Serviteur « façonné par Dieu » : : « Avant même de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu viennes au jour, je t’ai consacré ; je fais de toi un prophète pour les nations ». Et je dis : "Ah ! Seigneur mon Dieu ! Vois donc : je ne sais pas parler, je suis un enfant ! " » (Jr 1,5-6). Mais contrairement aux prophètes qui ne savent que balbutier (on aimerait parfois balbutier comme Jérémie !), le Serviteur de Dieu a une parole aiguisée et forte comme une « épée tranchante », comme une « une flèche acérée » (Is 49,2). Par son Serviteur, Dieu veut faire briller sa gloire aux yeux de tous les hommes. 

Et pourtant, étrangement, puisque Dieu lui a donné des forces vives, sa mission est vouée à l’échec ; le Serviteur est découragé, comme si ce qu’il avait fait n’était que du vent : « Je me suis fatigué pour du vide et pour de la buée, c’est en pure perte que j’ai usé mes forces » (Is 49,4 ; on retrouve la buée qu’utilisait le sage Qohèlet : « Vanité des vanités ; tout est vanité » en Qo 1,2 ; cf méditation du mercredi des cendres) 

Etrange mélange, qui le rend proche de nous :  

- A la fois il est conscient de sa grandeur qui lui vient de Dieu : « Oui, j’ai de la valeur aux yeux du Seigneur, c’est mon Dieu qui est ma force » (Is 49,6) ; Et le Seigneur le lui confirme : « Tu es mon serviteur, Israël, en toi je manifesterai ma splendeur. » (hier nous entendions : « Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu qui a toute ma faveur » en Is 42,1). Il est puissant de la force de l’Esprit que Dieu lui donne et sa parole est destinée à tous les hommes (« les îles lointaines ») :« Je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. » (Is 49,6). 

- Et à la fois il se plaint de sa souffrance et de se fatigue (aujourd’hui on dirait que le Serviteur, ayant trop bien accompli sa mission, est proche du burn-out). 

Jésus est confronté dans l’Evangile au Mal qui prend la figure d’un disciple choisi par lui, Judas ; Pierre lui-même n’est pas bien vaillant, malgré ses affirmations présomptueuses de suivre Jésus jusqu’au bout ; mystère de l’âme humaine qui est capable du meilleur, mais aussi du pire… Jésus, le Serviteur de Dieu doit se sentir bien seul et découragé… 

Puissions-nous toujours, même dans les moments de découragement que nous traversons, nous émerveiller d’avoir une valeur infinie aux yeux de Dieu.


Lundi 29

 

Chers frères et sœurs,  

Au seuil de la semaine sainte, nous contemplons la figure du mystérieux Serviteur de Dieu en Isaïe. Dieu présente son serviteur qui mettra en œuvre le salut. Dieu ouvre un avenir à son peuple ; il annonce la nouveauté du salut qu’il va déployer (Is 42,9). 

Ce serviteur est souvent assimilé au peuple de Dieu lui-même, racheté de l’exil. Mais parfois c’est une figure unique, personnelle. Nombreux sont les « chants du Serviteur », au long des chapitres 42 à 53 du livre d’Isaïe. Bien sûr  derrière cette figure se cache en filigrane le Messie, le Christ. 

Ce Serviteur est « l’élu » de Dieu ; il est la réponse de Dieu aux idoles païennes, aussi silencieuses qu’inefficaces, dont parlait les versets précédents : « Néant ; vent et vide, leurs idoles » (Is 41,29). Cet homme choisi par le Seigneur sera, au contraire des idoles, pleinement efficace, parce qu’il est habité par l’Esprit de Dieu ; il est chargé de l’annonce aux nations et de la mise en œuvre de la libération. Il enseignera et interprétera la Loi. Il est un homme humble, à la parole pleine de douceur, et bien sûr nous pensons immédiatement à la douceur de Jésus. Ce mystérieux Serviteur a toute la faveur de Dieu qui trouve sa joie en lui ; ces paroles seront reprises lors du baptême de Jésus : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie. » (Mt 3,17). 

« Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu qui a toute ma faveur. J’ai fait reposer sur lui mon esprit ; aux nations, il proclamera le droit. Il ne criera pas, il ne haussera pas le ton, il ne fera pas entendre sa voix au-dehors. Il ne brisera pas le roseau qui fléchit, il n’éteindra pas la mèche qui faiblit, il proclamera le droit en vérité. Il ne faiblira pas, il ne fléchira pas, jusqu’à ce qu’il établisse le droit sur la terre, et que les îles lointaines aspirent à recevoir ses lois » (Is 42,1-3). 

Ensuite Dieu s’adresse à ce Serviteur, dans un oracle, sorte d’investiture royale lui donnant mission, évoquant sans doute le lointain Messie à venir :« Moi, le Seigneur, je t’ai appelé selon la justice ; je te saisis par la main, je te façonne, je fais de toi l’alliance du peuple, la lumière des nations : tu ouvriras les yeux des aveugles, tu feras sortir les captifs de leur prison, et, de leur cachot, ceux qui habitent les ténèbres » (Is 42,5-6).  

La mission du Serviteur sera amenée à se déployer en actes de libération, c’est l’annonce de la fin de l’exil à Babylone (« ouvrir les yeux des aveugles, libérer les prisonniers », ce que Jésus viendra accomplir). Ce sera donc un médiateur entre Dieu et les hommes pour accomplir l’œuvre de Dieu. Mais à la différence des rois et des prophètes sa mission sera discrète, elle se fera sans bruit, mais tout de même avec conviction. Et le salut promis ne se limite plus à Israël, mais il s’ouvre à toutes les nations. La grâce de Dieu n’est jamais épuisée ! 

L’onction à Béthanie, que rapporte l’Evangile de ce jour (Jn 12,1-11) est un geste d’extraordinaire gratuité ; Marie, la sœur de Lazare, verse généreusement un parfum luxueux, « authentique et de grande valeur », sur les pieds de Jésus, les essuyant de ses cheveux. A la gratuité de l’amour du Christ, répond ce geste de surabondance parfumée. 

Louons dès à présent la grâce de Dieu jamais épuisée que le Christ manifeste pour nous en cette semaine sainte !